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[Le Docteur Pascal | Emile Zola]
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Swann




Sexe: Sexe: Féminin
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Messages: 2642


Posté: Mar 29 Oct 2024 9:17
MessageSujet du message: [Le Docteur Pascal | Emile Zola]
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J'arrive enfin au dernier tome des Rougon-Macquart. La guerre est finie, le Second Empire est balayé, et les membres de cette famille Rougon qui intriguèrent pour s'élever au sommet de ce qu'offrait cette période font profil bas. Le Docteur Pascal, est un Rougon qui a perdu - dans la bouche des gens - son patronyme, et ce n'est pas seulement, ce qui est déjà beaucoup, parce qu'il n'a rien en commun avec sa famille ; c'est parce que, selon les théories de l'hérédité - et selon le choix de Zola qui guide les hasards génétiques, il a bénéficié de "l'innéité" : il est exempt des "tares familiales". Il est athée, scientifique, chercheur en hérédité et sa famille est sa matière première. Comme l'écrivain Émile Zola, il considère chacun des membres de l'arbre généalogique, désormais sur sa fin et en tire ses déductions, au grand dam de Félicité, désormais âgée de quatre-vingt ans, qui ferait bien disparaître les traces de tout cela.

En 1893, Zola a une jeune maîtresse qui lui a donné deux jeunes enfants et on ne peut s'empêcher de lire entre les lignes dans le couple Pascal-Clotilde, que sépare une grosse génération et un rapport de subordination professionnelle, bien qu'ils soient, eux, de la même famille (le côté amour impossible, sans doute, qui remplace le statut marital de Zola, tandis que Pascal Rougon est célibataire). Zola a une différence d'âge moindre (une "petite génération") avec Jeanne Rozerot. Pour éviter de fâcher Alexandrine Zola, qui sait tout désormais, Clotilde est blonde. Elle se fâchera tout de même qu'il ait l'audace de lui dédicacer le roman. Le roman est également dédicacé à la mère de Zola, séparée de son père par 24 années... Je spoile sans regrets sur l'histoire d'amour de Clotilde et Pascal, elle est téléphonée dès les premières pages au point que je suis étonnée que Zola ait manqué à ce point de clairvoyance sur la situation en créant des personnages visiteurs ne se doutant de rien !

Ne nous étendons pas sur la part de la vie privée de Zola, c'est lui qui va manquer de discrétion de page en page, une fois qu'on a les clefs. Toutefois, sur la bondieuserie de Clotilde, j'ai quelques lumières en apprenant que Jeanne Rozerot a tenu à donner une éducation religieuse à leurs enfants et que Zola a accepté.

Je partage l'avis d'une blogueuse (il faudra que j'en mette le lien ici, que j'ai perdu) dont je vais paraphraser de mémoire les questions rhétoriques : en quoi Zola a-t-il cru qu'il serait une bonne idée d'affubler le Docteur Pascal d'une maîtresse qui aurait l'âge d'être sa fille et qui est, pour rester dans l'équivoque incestueuse, sa nièce ? qu'il n'a pas rencontrée à l'âge adulte mais qu'il a élevée depuis qu'elle est petite fille ! La blogueuse m'apprend que Zola avait pourtant prévu une autre compagne à ce Docteur, sans parenté avec lui. Voilà, voilà !... Pourquoi a-t-il changé d'avis ? à aucun moment cet inceste n'aura d'intérêt narratif, alors pourquoi ne pas avoir choisi une égérie sans lien de parenté ?

Il m'est arrivé parfois de trouver que Zola laissait de plus en plus - et trop - parler sans profit ses fantasmes les moins solaires vers la fin de sa vie (je pense notamment aux scènes de viol vomitives de La Terre et de Travail, où les victimes trouvent le chemin vers l'orgasme mais meurent ensuite). Cela contraste étrangement avec ce qu'il prône, une sexualité qui serait solaire parce qu'elle serait liée à l'enfantement (et manifestement, pour lui, peu importent les parents et le contexte). Sur le fantasme de soumission permanent que Zola expose lexicalement avec la finesse du gros sel qui est la marque de son style, je me suis fait violence pour m'imposer ce que j'impose à mes Lycéens : ne pas lire les œuvres et les idées de jadis et d'ailleurs uniquement avec le filtre de notre culture contemporaine et occidentale, garder cela éventuellement dans une partie critique ou en ouverture. En effet, ce fantasme est tellement prégnant, tellement infiltré dans nos consciences que les plus féministes des amants ne le voient pas toujours venir ; comme disait quelqu'un : "la belle captive et le grand Viking au rut irrésistible, il faut vraiment ne pas avoir le physique de l'emploi pour y renoncer spontanément". Même chose sur l'exaltation permanente de la jeunesse, qualité érotique suprême dans ce roman, qui fait d'une jeune femme de 25 ans la partenaire idéale d'un homme de 59, tout cela parce que les femmes seraient culturellement plus sapiosexuelles et jouiraient d'un partenaire d'âge mûr voire blet s'il est vraiment très intelligent... et encore très puissant physiquement : Clotilde se soumet physiquement avec délice (elle a compris qu'elle l'aimait quand, dans sa force mâle, il l'a fait saigner en luttant contre elle... au secours !) . On a droit à quelques échanges verbaux coïtaux de type cantique des cantiques pas vraiment convaincants. Et il n'est plus question de religion, puisque son seigneur et maître ("Maître, oh, maître", dit-elle pendant le rapport sexuel aussi !) la désapprouve : fin du débat théologique après le rapport sexuel.

Écrire Germinal pour finir avec Le Docteur Pascal, un médecin qui, dès qu'il se voit dans une fin de vie confortable avec une jolie poupée, tourne le dos à une vie entière de dévouement et se dit que vouloir guérir l'humanité, c'est peut-être une hybris... Quelle dégringolade ! D'ailleurs malgré un tableau final censé mettre du baume au cœur, la fin m'a laissé une amère tristesse.

La seule chose qui a fait que je n'ai pas complètement détesté ce roman, c'est la vision éblouissante des papiers de la famille Rougon-Macquart et les explications que Pascal-Zola en donne... Parfois, il déraille quand il imagine que son oncle Macquart ait pu lui donner de son hérédité, il n'a pas bien synthétisé ses lectures scientifiques, je le crains....

Allez, j'arrête les lamentations et les sarcasmes, tout le monde a bien compris que ce n'est pas une lecture que je recommandais chaleureusement... Le cadre d'Aix-en-Provence de jadis est non seulement "sympa" mais j'irais jusqu'à dire idyllique. J'ai retrouvé avec plaisir la nature du Paradou - moins lourdement luxuriante. J'ai frémi au mistral terrible des derniers chapitres : Zola n'a rien oublié de ce vent de mauvais augure provençal !


Citations :
• — Ah ! la peur de la vie ! décidément, il n’y a point de lâcheté meilleure… Dire que j’ai parfois le regret de n’avoir pas ici un enfant à moi ! Est-ce qu’on a le droit de mettre au monde des misérables ? Il faut tuer l’hérédité mauvaise, tuer la vie… Le seul honnête homme, tiens ! c’est ce vieux lâche !
M. Bellombre, paisiblement, au soleil de mars, continuait à faire le tour de ses poiriers. Il ne risquait pas un mouvement trop vif, il économisait sa verte vieillesse. Comme il venait de rencontrer un caillou dans l’allée, il l’écarta du bout de sa canne, puis passa sans hâte.
— Regarde-le donc !… Est-il bien conservé, est-il beau, a-t-il toutes les bénédictions du ciel dans sa personne ! Je ne connais personne de plus heureux.
Clotilde, qui se taisait, souffrait de cette ironie de Pascal, qu’elle devinait si douloureuse. Elle qui, d’habitude, défendait M. Bellombre, sentait en elle monter une protestation. Des larmes lui vinrent aux paupières, et elle répondit simplement, à voix basse :
— Oui, mais il n’est pas aimé.
• Ah ! que n’avait-il vécu ! Certaines nuits, il arrivait à maudire la science, qu’il accusait de lui avoir pris le meilleur de sa virilité. Il s’était laissé dévorer par le travail, qui lui avait mangé le cerveau, mangé le cœur, mangé les muscles. De toute cette passion solitaire, il n’était né que des livres, du papier noirci que le vent emporterait sans doute, dont les feuilles froides lui glaçaient les mains, lorsqu’il les ouvrait. Et pas de vivante poitrine de femme à serrer contre la sienne, pas de tièdes cheveux d’enfant à baiser ! Il avait vécu seul dans sa couche glacée de savant égoïste, il y mourrait seul.
• Corriger la nature, intervenir, la modifier et la contrarier dans son but, est-ce une besogne louable ? Guérir, retarder la mort de l'être pour son agrément personnel, le prolonger pour le dommage de l'espèce sans doute, n'est-ce pas défaire ce que veut faire la nature ? Et rêver d'une humanité plus saine, plus forte, modelée sur notre idée de la santé et de la force, en avons-nous le droit ? Qu'allons-nous faire là, de quoi allons-nous nous mêler dans ce labeur de la vie, dont les moyens et le but nous sont inconnus ? Peut-être tout est-il bien.

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