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[Au coeur de la prison des femmes | Marie-Annick Horel]
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Posté: Mar 28 Mai 2024 4:03
MessageSujet du message: [Au coeur de la prison des femmes | Marie-Annick Horel]
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Depuis l'âge de 21 ans et pendant 37 ans, l'autrice a été surveillante au Centre pénitentiaire féminin de Rennes. Cet ouvrage contient son témoignage d'un métier méconnu et dévalorisé, exercé avec fierté et dans l'esprit humaniste selon lequel la peine est conçue d'abord dans la perspective de la réinsertion des condamnées, esprit qui hélas n'est pas encore prédominant.
Depuis ses motivations à intégrer l'administration pénitentiaire jusqu'aux préconisation qu'elle adresse à ses jeunes collègues à l'heure de sa retraite, sans oublier son constat de la dégradation des conditions de détention par manque de moyens et à cause de l'insuffisance de la formation des professionnels, c'est surtout son propre quotidien dans le milieu carcéral qui émerge à la lecture. Convaincue que le métier de surveillant requiert d'abord des qualités relationnelles mêlant la capacité d'écoute et d'empathie à la distance et à la sévérité dans l'imposition du cadre disciplinaire, prête à dénoncer les dysfonctionnements de l'administration, partisane du travail obligatoire mais promotrice de tout projet culturel et récréatif en prison, adhérant à la réforme qui a mis en place les « unités de vie familiale », appartements dans lesquels les détenues peuvent recevoir leurs proches sans surveillance pour des visites longues en vue d'un projet familial et afin de renouer le contact avec les proches, l'autrice se place au milieu d'un texte qui se situe à mi-chemin entre un rapport de synthèse institutionnel et un recueil de souvenirs des détenues et de situations vécues en prison.
Si l'on peut être déçu à la lecture des portraits des condamnées, insuffisamment creusés pour qu'ils soient réellement marquants, si la réflexion et les données font défaut pour que le travail soit une étude informative, l'on acquiert cependant un aperçu des spécificités des détenues femmes par rapport aux hommes – en particulier en termes de culpabilité et de désocialisation. Un petit approfondissement bienvenu est consacré aux détenues psychotiques, aux droguées et aux indigentes, mais à peine quelques mots sur les détenues mères d'enfants en bas âge.



Cit. :


1. « "Elle, elle a buté ses mômes, alors, on veut pas lui parler !
- Ah bon, et vous, avec votre trafic de drogue, vous ne pensez pas avoir tué des enfants ?
- Elle, c'est un monstre."
"Monstre", le mot est lâché. Je connais bien ce conflit. Celles qui ont commis des actes graves sur leurs enfants sont souvent qualifiées ainsi. Peu intégrées, elles restent seules ou se rapprochent des personnes incarcérées pour de mêmes faits.
Je redouble d'efforts pour tenter d'apaiser ces tensions, calmer les accusatrices et réconforter les femmes blessées. Mises à l'écart, elles ne vont pas au sport, longent les murs, tête baissée, et évitent la cour. Comme dans les prisons pour hommes, l'enfant, c'est le tabou suprême. Le caïd peut commettre toutes les atrocités, on ne lui en voudra pas. » (pp. 90-91)

2. « Dans les faits, les hommes ont toujours davantage de visites. Leur petite amie, leur mère, leur sœur, les amis leur consacrent des heures de parloir, accompagnées de mandats et de paquets de linge propre. Les femmes sont seules. Elles forment une population invisible.
Leur vie est plus précaire parce qu'elles sont souvent très isolées. Leur fragilité sociale et psychologique est frappante. D'après une enquête de l'Observatoire international des prisons [2016], 20% d'entre elles sont illettrées, 50% ont un niveau d'instruction primaire et 30% ont suivi une instruction au niveau secondaire. Elles proviennent de milieux défavorisés et sont généralement désocialisées au moment de leur incarcération. Beaucoup ont subi des violences, dans leur enfance ou dans leur vie conjugale. Leur enfance a été marquée par des placements dans des foyers ou des familles d'accueil, la violence et l'alcool. Une partie d'entre elles a été suivie pour des troubles psychologiques. En prison, elles sont aussi plus nombreuses que les hommes à rendre des traitements (45% contre 18%). Une explication à ces chiffres : il leur faut supporter l'enfermement.
[…] Elles ont du mal à rebondir, à s'en sortir, à envisager une vie après la détention. Les femmes ne se pardonnent jamais. Et c'est au personnel de les aider. Un pari énorme. » (pp. 93-94)

3. « À mille lieues des silencieuses cohabitent dans un improbable capharnaüm une poignée de femmes issues de la communauté des gens du voyage, souvent incarcérées pour vol. L'enfermement leur est d'autant plus difficile qu'elles ont vécu dans des caravanes, à l'air libre. Sortant de leur groupe, elles demandent souvent de l'aide pour la rédaction de leur courrier aux familles et aux avocats, pour remplir des documents administratifs. Il n'y a pas d'écrivain public en prison, c'est dommage.
Les toxicomanes se regroupent la plupart du temps à l'abri, notamment dans les angles morts, pour se cacher des surveillantes installées dans la guérite. Il n'est pas rare qu'elles profitent de la situation pour se concocter des cocktails maison en échangeant leurs médicaments ou en fumant. La tension est toujours latente dans leur groupe. Si elles hurlent, ça explose. » (p. 133)

4. « L'une des différences majeures entre la prison pour hommes et celle pour femmes, c'est la façon qu'ont ces dernières de vivre leurs amours à ciel ouvert. Chez les hommes, l'homosexualité est cachée. Ici, les liaisons sont flagrantes, affichées. Une fois dehors, elles redeviendront peut-être hétérosexuelles. Si certaines, au bord du vœu de chasteté, demeurent fidèles à l'homme qu'elles ont laissé dehors, d'autres vont aller jusqu'au Pacs, qui tiendra le temps voulu.
[…]
La sexualité est un tabou. Lorsque je réussis à échanger librement avec certaines femmes, elles racontent avoir été hétérosexuelles "avant". Ces conduites homosexuelles combleraient-elles un manque affectif ? Elles surviennent d'ailleurs tardivement, souvent après plusieurs mois ou plusieurs années d'enfermement. Même si elles ne le formulent pas, les détenues doivent d'abord surmonter des obstacles sur lesquels achoppe leur désir. Elles disent vouloir être "normales", donc hétérosexuelles. "Le premier bisou, c'était compliqué, me dit un soir Mélanie, trente-deux ans. Et puis après, ça allait, j'ai accepté d'être comme ça. Maintenant, c'est bien." » (pp. 147, 149)

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