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[Le Deuxième Sexe, tome 2 : L'expérience vécue | Simone ...]
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Swann




Sexe: Sexe: Féminin
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Posté: Sam 27 Avr 2024 11:28
MessageSujet du message: [Le Deuxième Sexe, tome 2 : L'expérience vécue | Simone ...]
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[Le Deuxième Sexe, tome 2 : L'expérience vécue | Simone de Beauvoir]

A ma grande surprise, c'est le tome 2 qui commence par le fameux "On ne naît pas femme, on le devient".

Ce tome aborde "l'expérience vécue", c'est-à-dire toutes les incarnations, les avatars de la féminité, et le procès qui commence par l'éducation, puisqu'il s'agit de l'enfance, dans un premier temps.

J'ai d'abord eu l'impression, justifiée, d'avoir déjà lu tout cela : entre les extraits connus, la compilation de tout ce qui se dit depuis Freud jusqu'aux féministes contemporaines en passant par Lacan, l'intériorisation des stéréotypes au cours de l'éducation n'a rien de bien original pour une lectrice d'aujourd'hui. Le sous-titre est immédiatement justifié par les témoignages abondants qui émaillent l'argumentation de Beauvoir.

J'imaginais un essai de portée universelle (universaliste ?) mais en réalité, il ne vaut que pour les sociétés patriarcales même si, d'une manière ou d'une autre, les cultures mondiales sont presque toutes patriarcales (l'hyperpouvoir supposé des femmes dans la sphère familiale n'étant pas un matriarcat mais un aménagement du système patriarcal même). Les pudibonderies autour de la sexualité, les simagrées de la souillure - ces fardeaux physiques, moraux, mentaux supplémentaires - autour des menstruations semblent en revanche terriblement judéo-chrétiennes. De plus, malgré la rigueur d'aller investiguer dans toutes les classes, et donc dénoncer à juste titre la double journée de travail des femmes, l'exploration du chapitre de la femme en couple, mariée, décrit beaucoup plus souvent le désarroi d'une femme bourgeoise. C'est notamment dans l'exercice risqué de la synthèse sur le "caractère de la femme" que cela se voit.

A lire dans un XXIème siècle où l'on distingue sexe et genre, et où chacun revendique une expérience privée avec l'un et l'autre, poussant à des alliances de circonstance mais pas à une appartenance aussi large que le sexe, les deux premiers chapitres, leur présent de vérité général et le générique au singulier (la petite fille, la jeune fille) peuvent paraître trop généralisateurs. Mais à pousser dans ses retranchements ce qu'elle affirme, j'avoue qu'en cherchant des équivalents à cela, on les trouve et que les objections que je voudrais faire seraient trop pointues.

Si, je suppose, les deux premiers chapitres ont fait un tel florès que j'ai eu du mal à trouver originaux des constats qui l'étaient sans doute en 1949, j'ai été stupéfaite de lire une hypothèse incroyablement plausible à l'usure de l'éros dans le couple invétéré et que je n'ai lue nulle part ailleurs. Je voudrais pouvoir dire que sa lucidité sur le chapitre de l'amour (partie intitulée "Justifications"... comment certaines femmes tentent de se créer une transcendance à travers la prison immanente de leur vie) est caricaturale, hélas, je ne le peux pas, c'est horriblement bien vu. L'étude du vieillissement ("maturité et vieillissement") est original et intéressant. Je m'incline.

Mais Simone de Beauvoir ne remet pas en question certaines assertions de son temps, qui ont été déconstruites depuis, avec par exemple la dénonciation du fait que les femmes sont plus mal soignées que les hommes parce qu'elles sont peu écoutées, se plaignent moins (alors même qu'elles consomment plus de médecine), et que les normes médicales sont masculines. Voilà ce que Beauvoir reprend à son compte : "Parce que son corps est suspect [à la jeune fille], qu'elle l'épie avec l'inquiétude, il lui paraît malade : il est malade. On a vu qu'en effet ce corps est fragile et il y a des désordres proprement organiques qui s'y produisent ; mais les gynécologues s'accordent à dire que les neuf dixièmes de leurs clientes sont des malades imaginaires (...)". Heureusement, on en est revenu, mais le temps a été long et que de vies perdues !...

Du chemin a été fait, on le mesure souvent, depuis 1949, et même 1976, mais je me rends compte aussi que toutes les femmes n'ont pas suivi la voie de l'émancipation du même pas : certaines l'ont construite, d'autres suivie, mais un nombre non négligeable la négligent, comme un élément du paysage qu'on voit mais qu'on renonce à fréquenter ; elles rencontrent des hommes (et des femmes) qui les en confortent ou non, et les vieux schémas patriarcaux se perpétuent, s'ancrent dans un habitus névrotique attendu, ou la cacophonie continue. Que des hommes se libèrent également des assignations patriarcales, et le chœur de ricanements s'élève, son écho dure, comme celui contre le "mari déconstruit" de Sandrine Rousseau. Subir dans une sortie sportive les saillies antiféministes d'une célibataire qui veut signaler à celui qui l'intéresse un prétendu avantage qu'il aurait avec elle... Navrante, cette lenteur. A-t-on assez lu cet essai ?

Très agréable à lire, malgré les polices de caractères minuscules des témoignages, on entre facilement dans son écriture, y compris dans les passages plus riches en figures de style, dont Beauvoir n'abuse pas.

Le Deuxième Sexe, tome 1 : Les faits et les mythes

Le Deuxième Sexe, tome 2 : L'expérience vécue

Citations :

Elle cite Nietzsche : "Être lancée comme par un horrible coup de foudre dans la réalité et la connaissance, par le mariage, surprendre l'amour et la honte en contradiction, devoir sentir en un seul objet le ravissement, le sacrifice, le devoir, la pitié et l'effroi, à cause du voisinage inattendu de Dieu et de la bête... on a créé là un enchevêtrement de l'âme qui chercherait en vain son égal."
Naguère, la jeune fille abritée par l'autorité des parents usait de sa liberté dans la révolte et l'espoir ; (...) c'était vers le mariage même qu'elle se transcendait du sein de la chaleur familiale ; maintenant elle est mariée, il n'y a plus devant elle d'avenir autre. (...) Jeune fille, elle avait les mains vides : en espoir, en rêve, elle possédait tout. Maintenant elle a acquis une parcelle du monde et elle pense avec angoisse: ce n'est que cela, à jamais.
Ils escomptent de manière avouée que la femme consentira à se rendre coupable d'un "délit" : son "immoralité" est nécessaire à l'harmonie de la société morale respectée par les hommes. L'exemple le plus flagrant de cette duplicité est l'attitude du mâle devant la prostitution (...). Une anecdote illustre cet état d'esprit : à la fin du siècle dernier, la police découvrit dans une maison close deux fillettes de douze à treize ans ; il y eut un procès où elles déposèrent ; elles parlèrent de leurs clients qui étaient des messieurs importants ; l'une d'elles ouvrit la bouche pour dire un nom. Le procureur l'arrêta précipitamment : Ne salissez pas le nom d'un honnête homme ! Un monsieur décoré de la Légion d'honneur demeure un honnête homme au moment où il déflore une petite fille ; il a ses faiblesses, mais qui n'en a pas ? Tandis que la petite fille qui n'accède pas à la région éthique de l'universel - qui n'est ni un magistrat, ni un général, ni un grand Français, rien qu'une petite fille - joue sa valeur morale dans la région contingente de la sexualité : c'est une perverse, une dévoyée, une vicieuse bonne pour la maison de correction. L'homme peut en quantité de cas sans salir sa haute figure perpétrer en complicité avec la femme des actes qui pour elle sont flétrissants.
Elle sera une chaste et fidèle épouse ; et elle cèdera en cachette à ses désirs ; elle sera une mère admirable : mais elle pratiquera avec soin le "birth control" et se fera avorter au besoin. L'homme officiellement la désavoue, c'est la règle du jeu ; mais il sera clandestinement reconnaissant à celle-ci de sa "petite vertu", à celle-là de sa stérilité. La femme a le rôle de ces agents secrets qu'on laisse fusiller s'ils se font prendre, et qu'on comble de récompenses s'ils réussissent ; à elle d'endosser toute l'immoralité des mâles : ce n'est pas seulement la prostituée, ce sont toutes les femmes qui servent d'égout au palais lumineux et sain dans lequel habitent les honnêtes gens. Quand ensuite on leur parle de dignité, d'honneur, de loyauté, de toutes les hautes vertus viriles, il ne faut pas s'étonner qu'elles refusent de "marcher". Elles ricanent en particulier quand les mâles vertueux viennent leur reprocher d'être intéressées, comédiennes, menteuses : elles savent bien qu'on ne leur ouvre nulle autre issue. L'homme aussi "s'intéresse" à l'argent, au succès : mais il a les moyens de les conquérir par son travail ; on a assigné à la femme un rôle de parasite : tout parasite est nécessairement un exploiteur ; elle a besoin du mâle pour acquérir une dignité humaine, pour manger, pour jouir, pour procréer (...).
Quantité d'exemples nous ont déjà prouvé que ce rêve d'anéantissement est en vérité une avide volonté d'être. Dans toutes les religions, l'adoration de Dieu se confond pour le dévot avec le souci de son propre salut ; la femme en se livrant tout entière à l'idole espère qu'il va lui donner tout à la fois la possession d'elle-même et celle de l'univers qui se résume en lui.

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