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[Goliarda Sapienza, telle que je l'ai connue | Angelo Ma...]
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Posté: Jeu 09 Nov 2023 12:09
MessageSujet du message: [Goliarda Sapienza, telle que je l'ai connue | Angelo Ma...]
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[Goliarda Sapienza, telle que je l'ai connue | Angelo Maria Pellegrino]

Lorsque l'auteur rencontre Goliarda Sapienza, en 1975, il a 29 ans, elle en a 51. Elle est sur le point de terminer son magnum opus, _L'Art de la joie_, dont le refus systématique de la part des éditeurs, même sous forme de scénario pour un feuilleton télévisé, pour cause d'immoralité (et malgré l'intervention discrète du président de la République Sandro Pertini...), ainsi que de la plupart de ses œuvres littéraires successives sauf _L'Université de Rebibbia_ – qui fut un succès –, constitue l'essentiel des deux décennies de leur vie commune. C'est également durant cette période, et non sans rapport avec cet ostracisme littéraire, que se produit le fameux événement de sa vie : le vol des bijoux d'une connaissance (presque une intime) et son court emprisonnement à Rebibbia conséquent, qui lui fournissent le matériau de deux livres autobiographiques et auquel une part significative de cette plaquette biographique relative à sa maturité est consacrée.
Mais il faut bien penser qu'une grande partie du parcours de Goliarda Sapienza, et sans doute la tranche la plus aventureuse de sa vie, s'étaient déjà écoulées : sa participation à la Résistance, dans la brigade créée par son père, sous fausse identité, deux décennies entières de sa carrière d'actrice théâtrale et cinématographique aux côtés de noms les plus illustres de l'après-guerre, une liaison de presque vingt ans avec Francesco Maselli, sa désillusion politique suite à la révélation des crimes staliniens en 1956, quelques années d'« effondrement psychique » ponctuées par deux épisodes suicidaires et une psychothérapie désastreuse dont elle se sortit par l'abandon du métier de comédienne et l'adoption de l'écriture – autobiographique – qui, dans ses deux premiers opus, _Lettre ouverte_ et _Le Fil de midi_, s’avéra être un franc succès. De toute cette période, par le choix de l'auteur de se concentrer sur leur années passées ensemble, nous n'apprenons rien, hormis quelques notes fugaces contenues dans une Chronologie de fin d'ouvrage qui, assez opportunément, s'ouvre par la naissance non de Goliarda mais de ses parents (1880 pour sa mère, 1884 pour son père), qui furent des personnalités très importantes dans l'histoire de l'Italie ainsi que pour la formation intellectuelle et politique de la future autrice.
L'on imagine bien que, ne serait-ce qu'à cause de l'écart entre leurs âges, mais tout autant eu égard à la « vocation » longtemps contrariée d'Angelo Pellegrino de faire sortir de l'oubli l’œuvre littéraire de sa compagne surtout après sa disparition, jusqu'à ce qu'un véritable triomphe posthume ne couronne ses efforts, notamment par le truchement de la « découverte » de Sapienza par l'édition française à partir de 2005, cette plaquette possède toutes les caractéristiques d'une apologie. Peut-être par pudeur, peut-être pour ne pas divulgâcher les considérations et les réflexions que l'autrice avait déjà consignées dans ses ouvrages autobiographiques, ce petit volume n'apporte pas beaucoup d'informations ; par contre la Chronologie déjà citée ainsi que les nombreux portraits sépia et autres photos de l'écrivaine, sans oublier le fac-simile d'un page manuscrite de _L'Art de la joie_ constituent un agréable complément qui incite à l'approfondissement de la vie et de l’œuvre de la protagoniste.



Cit. :


1. « […] à un certain moment, Goliarda s'était sentie complètement abandonnée de son milieu. Elle, qui avait été une actrice importante dans l'après-guerre, qui travailla plusieurs fois avec Luchino Visconti, elle qui était restée en lien à travers son compagnon Maselli avec ce monde intellectuel composite qui gravitait alors autour du PCI et qui continuait à avoir une grande emprise sur le cinéma, l'édition, le théâtre et le milieu des arts de l'époque (monde envers lequel, cela dit, Goliarda fut toujours critique, même si c'était en termes contenus, car elle en redoutait le pouvoir objectif), elle s'était retrouvée seule.
Ce fut pour briser le silence et l'omertà imposés par la figure tutélaire de ce monde que Goliarda commit un vol symbolique qui l'amena à la prison de femmes de Rebibbia. Le scandale fut énorme dans la Gauche italienne, qui comprit tout de suite le caractère provocateur de son geste et chercha à l'occulter par tous les moyens. La fille de Maria Giudice, cette figure du socialisme et ce modèle d'intégrité, qui n'avait jusque-là pas même dérobé un simple biscuit, était désormais obligée de voler une poignée de bijoux pour pouvoir vivre, quand tous les intellectuels et artistes de sa génération évoluant autour du PCI avaient fait carrière et vivaient, en ex-révolutionnaires, dans un luxe bourgeois... Il y a un film, de Maselli justement, qui représente très bien cette régression, _Lettera aperta a un giornale della sera (Lettre ouverte à un journal du soir)_. On y retrouve les contradictions de cette Gauche italienne issue de la Résistance qui, d'une part, déclarait non sans ambiguïté accepter le jeu démocratique, et de l'autre continuait à croire en la révolution alors même qu'un accord tacite des Soviétiques avec les Américains – les équilibres de Yalta – rendait objectivement cet horizon impossible. » (pp. 34-35)

2. « Il y avait dans son geste une volonté qui allait au-delà de l'acte [le vol des bijoux]. En fait, elle voulait aller en prison.
Je crois même que l'expérience carcérale marqua sa renaissance. Dans sa famille, la prison avait toujours représenté le lieu obligé pour connaître la fièvre qui se répand dans le corps social et qu'on refoule, enferme, entre ses murs. Pour eux, on ne connaissait pas une société si l'on ne connaissait pas ses prisons, ses hôpitaux et ses asiles. Les parents de Goliarda furent souvent l'un et l'autre emprisonnés pour des raisons politiques, surtout Maria Giudice » (p. 39)

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