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[Pères solos, pères singuliers ? | Patrice Huerre, Chris...]
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Posté: Lun 09 Oct 2023 14:17
MessageSujet du message: [Pères solos, pères singuliers ? | Patrice Huerre, Chris...]
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[Pères solos, pères singuliers ? | Patrice Huerre, Christilla Pellé-Douël]

J'avais placé de grandes attentes dans cet essai, qui traite d'un sujet encore largement ignoré malgré la multiplication des cas d'enfants dont la garde est confiée au père, à titre exclusif ou alterné. Une série de questions pertinentes se trouve posée dans la quatrième de couverture :
« Comment est perçue cette catégorie émergente [la paternité solo] ? En quoi a-t-elle changé les repères, le rapport à l'éducation et les rôles attribués depuis des siècles aux deux parents ? Quelle est la part "maternelle" d'un homme ? Pourquoi a-t-on tant de mal à parler de "tendresse paternelle"... ? Comment les hommes investissent-ils cette paternité singulière ? S'y retrouvent-ils en tant que père et en tant qu'homme ? Et cette relation étroite avec les enfants bouscule-t-elle la question de l'autorité, de la fonction séparatrice du père ? »
Hélas, il me semble que le livre a été écrit prématurément, ou bien hâtivement. Devant les insuffisances des apports théoriques de la psychanalyse que l'on connaît, faute de recul du temps des sciences sociales, et en présence de tout le poids persistant de la mythologie patriarcale, la recherche microsociologique menée par Patrice Huerre, sur un corpus de dix individus seulement, est très évidemment insuffisante pour espérer infirmer les stéréotypes et les idées reçues. À défaut, les affirmations non-empiriques posées au fil des chap. frappent par leur banalité et leur faible capacité heuristique (ex. la différence entre père solo d'un garçon ou d'une fille, importance de l'âge de l'enfant, des aspects intergénérationnels de la paternité, du mode de l'accession à la paternité, de l'image des femmes, etc.). On aurait pu espérer trouver a minima un axe d'analyse comparatif/contrastif entre pères et mères solos, sachant que ces dernières commencent à être davantage étudiées...
De l'aveu des auteurs, nous sommes encore (en 2010) dans une période d'attente de l'avènement de quelque chose – des pratiques suffisamment consensuelles ? une théorisation ? une évolution des représentations collectives ? - qui serait susceptible de faire surgir une nouvelle paternité ou bien d'élargir notre intelligence actuelle d'une paternité unifiée au point d'être à même d'inclure un phénomène en si forte croissance.


Cit. :


1. « Il suffit de se rappeler les problèmes que les mères solos ont pu connaître, et connaissent souvent encore, pour imaginer l'ampleur de la tâche des pères solos. Quelques-unes des idées reçues plaquées sur ces pères d'un nouveau type permettent de la mesurer.
Celles qui sont plutôt positives sont rares :
- elles mettent en avant ces pères comme des héros des temps modernes, en opposition à l'image de la mère solo dont la situation témoignerait davantage d'un échec que d'un succès ;
- ou elles soulignent la figure du père solo comme répondant à l'idéal contemporain de parents interchangeables faisant fi des différences.
La plupart des autres se situent du côté négatif :
- soit dans le registre traditionnel de moins en moins politiquement correct établissant que les pères feraient les enfants tandis que les mères les élèveraient ; et qu'en tout cas, avant l'âge de 7 ans, il serait bien inconséquent de confier un enfant à un père : seule la mère serait capable de s'en occuper correctement ;
- soit, dans un registre très proche, le père solo serait un usurpateur, accusé de prendre la place de la mère – dans le même temps où on lui demande de s'investir de plus en plus dans la vie quotidienne de la famille !
- ou alors les reproches rejoignent les clichés de l'époque : il n'y aurait plus de père ; la fonction paternelle serait en déclin rapide et problématique, cause de nombre de maux de notre société, de la violence juvénile aux pathologies nouvelles qui remplacent les névroses d'autrefois... C'est la déroute des pères proclamés par des sociologues, des psychanalystes, des pédiatres, des démographes, des historiens... […] Cette déroute pourrait paraître contredite par les pères solos ? Bien au contraire, c'est la confirmation de ce déclin que signerait leur émergence. » (pp. 36-37)

2. « Quel que soit le moment où l'idée d'être père s'impose, se pose la question de savoir aux yeux de qui il est le père : de la mère de l'enfant ? de l'enfant lui-même ? de ses propres parents ? à ses propres yeux ?
Des réponses apportées à ces questions découlent des modes d'exercice de la paternité tout à fait différents : du père mis en situation de rappeler les limites et de permettre à la mère de se séparer de son petit, à celui auquel est attribué le rôle de partenaire de jeu de l'enfant, dans une position infantile bien qu'aînée ; de l'adjoint domestique à celui qui rassure. Il est bien des manières encore d'être père, caractéristique moderne liée à l'ouverture de multiples possibles, contrairement au rôle social et familial univoque qui leur était attribué jusqu'aux années soixante.
Cette indétermination a priori offre évidemment beaucoup d'avantages pour inventer dans chaque couple une histoire singulière, au plus près des composants psychologiques, sociaux et culturels qui le caractérisent. Mais elle crée des difficultés nouvelles pour toutes celles et tous ceux qu'une absence de repères préétablis renvoie à des menaces, des angoisses ou des manques entravants, voire à des modèles redoutés. » (pp. 45-46)

3. « À l'occasion des séparations conjugales, le père revit souvent ce qu'il a connu à la génération précédente et éprouve à nouveau des émotions dont il avait oublié l'intensité, les mécanismes de refoulement étant passés par là. Quand il n'est pas lui-même l'enfant d'un couple séparé, il prend volontiers la place de son enfant pour imaginer ce qu'il ressent, lui imputant des sentiments dont il n'a aucune garantie qu'ils soient bien ceux de l'enfant. […] Bien souvent, il apparaît que l'enfant est empêché de s'adapter correctement à la situation nouvelle qui est la sienne parce que, devant le trouble de son père, il se sentirait coupable d'aller bien, et s'estime d'autant plus responsable du remaniement qui a lieu. » (p. 83)

4. « Les solutions envisagées par la plupart des pères semblent, dans un premier temps (au moins jusqu'à la fin des études secondaires, c'est-à-dire jusqu'à l'entrée dans la vie étudiante, de jeune adulte), évacuer l'idée même d'un investissement affectif. Même si une relation paraît pouvoir se développer, elle est vite passée à la trappe. Il y a les hommes qui ne trouvent jamais la "bonne personne", qui vivent des aventures sans lendemain ou des histoires clandestines, ceux qui, volontairement, refusent toute liaison durable […], ceux dont les liaisons aboutissent à une rupture...
[…]
Derrière le refus plus ou moins avoué d'une vie amoureuse, se dissimule aussi l'angoisse de dévoiler à l'enfant la sexualité du père. Ce qui restait caché lors de la vie avec la mère (mère et épouse) se révèle soudain au grand jour. Cette femme qui vient rendre visite au père ne peut se faire passer pour la mère : elle ne peut être que sa partenaire sexuelle.
À l'inverse, les pères qui font défiler leurs conquêtes devant les enfants signalent par là même que ces dernières n'ont pas d'importance, ne représentent aucune menace puisqu'elles sont interchangeables. Et si ce n'était pas le cas, l'enfant se chargerait parfois de le rappeler en rendant la situation impossible pour les femmes en question. » (pp. 118-119)

5. « Au père d'interroger la représentation qu'il a de la mère de ses enfants : est-ce l'image maternelle qui domine, ou bien est-ce encore celle de la femme, avec les conflits non résolus ? À lui de parvenir à bien séparer le rôle maternel de la femme, à parvenir à l'envisager comme une bonne mère, même s'il a été en conflit aigu avec elle en tant que femme. Cette différenciation est indispensable à l'équilibre de ses enfants. S'il n'y parvient pas, le père se trouvera sans doute confronté, dans sa vie personnelle, à la difficulté de pouvoir accueillir une présence féminine nouvelle. Soit il voudra imposer à ses enfants une "nouvelle" mère, ce qui conduira ces derniers à d'inévitables et douloureux conflits de loyauté, soit il sera incapable de nouer quelque relation stable que ce soit... On peut remplacer des fonctions, on ne peut remplacer l mère (ni le père), qui reste seule et unique porteuse de la dette de vie, de l'inscription dans la lignée. » (p. 135)

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