[Homoparentalités | Jérôme Courduriès, Flavio Luiz Tarnovski]

Cet essai datant de 2020 constitue une mise au point précise et circonstanciée des problématiques actuellement non encore résolues en France autour de la parentalité et du lien juridique de la filiation concernant les familles homoparentales. Sans contenir d'idées particulièrement originales, il répond cependant de façon convaincante aux résistances typiquement françaises qui se sont développées lors de chaque loi de réforme du droit de la famille, à partir de l'instauration du PACS (1999), et il montre l'inadéquation des solutions juridiques élaborées jusqu'à présent – y compris l'adoption de l'enfant du conjoint.
Il s'articule en quatre chapitres. Dans le premier, « L'homoparentalité, un nom pour plusieurs familles », après un rappel des trois grandes nouveautés caractérisant les sociétés occidentales contemporaines – 1. le libre choix vis-à-vis du sentiment amoureux et de la sexualité, 2. la tendance à la norme d'égalité dans les rapports entre hommes et femmes, 3. l'importance du désir d'enfant allant de pair avec la valorisation de l'enfance – d'après l'anthropologue Maurice Godelier, ces métamorphoses sont appliquées aux homoparents, et une réponse est donnée à la polémique du « droit à l'enfant », question qui doit être posée au contraire comme le « droit à être parent ».
Dans le chap. 2, « Que fait l'homosexualité à la famille ? », une première partie tend à minimiser l'écart entre la norme hétérosexuelle et l'homoparentalité, en particulier concernant l'adhésion des couples homoparentaux au mariage et à certaines normes traditionnelles de prénomination et de parrainage-marrainage. En antithèse, néanmoins, il est indiqué comment l'homoparentalité permet de « réinventer la famille », notamment par la coparentalité et en général la pluriparentalité (« engendrer à plusieurs »).
Parallèlement, le chap. 3, « Que fait la famille à l'homosexualité ? », part du constat que le mariage et la famille ont transporté l'homosexualité « des marges à la norme », non sans critiques de la part de certains théoriciens LGBT et queer ; mais il se termine par l'affirmation que l'homoparentalité est à même de « transformer les institutions de l'intérieur », notamment par un partage plus égalitaire des tâches domestiques et par une éducation des enfants plus critique des rôles de genre.
Enfin le chap. 4, « Repenser la parentalité et la filiation », interroge principalement la dimension juridique de l'établissement de la filiation et invite à repenser « l'imaginaire du sang » et la primauté de la procréation – réelle ou fictive (dans le cas de l'adoption) – au profit d'une promotion du principe de la « parentalité d'intention » ainsi que de l'état de fait de la situation d'exercice effectif de la fonction parentale.


Cit.


1. « Les conservateurs sont encore très attachés au principe que les parents sont ceux qui ont conçu et mis au monde l'enfant, ainsi qu'au caractère bisexué du couple parental. Ils ne peuvent tolérer l'institutionnalisation d'un modèle familial où le couple de parents ne peut passer pour avoir procréé.
Les résistances sont de fait ancrées dans des représentations des relations de parenté et de genre mal abritées derrière la pseudo-évidence biogénétique de la filiation et qui ignorent l'idée même d'une variation possible des normes amoureuses, familiales et de genre. Mais ce n'est pas la seule explication des conservatismes. Nous avons toujours beaucoup de mal à considérer qu'un enfant puisse avoir, de manière successive ou – surtout – concomitante, plus de deux parents. L'impossibilité du Parlement à légiférer pour reconnaître, un tant soit peu, les beaux-parents dans les familles recomposées en est l'illustration la plus frappante [...] » (pp. 16-17)

2. « On voit ainsi que cette importance accordée à la volonté personnelle dans le domaine de la parenté ne renforce pas une prétendue surpuissance individuelle ou une sorte de volontarisme personnel, bien au contraire. Prendre en compte les effets de ces investissements personnels dans la création des liens, en leur attribuant un statut, avec attribution de droits et de devoirs, stabilise le lien dans le temps. Sans ce support institutionnel, le lien de filiation créé par l'engagement personnel restera soumis à une acceptation individuelle de la part des membres de la parenté, mais aussi de la part des institutions comme l'école, le risque étant qu'en cas de conflit ce lien puisse facilement être brisé ou ne pas être reconnu.
L'adoption, la coparentalité, l'insémination avec donneur et la gestation pour autrui combinent de différentes façons sexualité, procréation, conjugalité, parentalité et filiation. Chaque modalité de faire famille a ses propres spécificités concernant l'exercice de la parentalité et l'établissement de la filiation, liées à l'état du droit sur ces questions, ainsi qu'aux représentations de parenté et de genre mobilisées par les parents eux-mêmes dans différents contextes sociaux. On peut se demander alors, au-delà de la nouveauté que représente la notion d'homoparentalité, en quoi les familles ainsi nommées interrogent de façon inédite le système de parenté qui leur sert de référence. » (pp. 62-63)

3. « Doter ses enfants du prénom d'un de ses aïeux, lui donner des parrains et des marraines : ces pratiques peuvent être interprétées selon deux perspectives politiques très différentes. Si on peut y voir la simple reproduction sociale de normes de parenté anciennes, on peut aussi y déceler une forme subtile et néanmoins déterminée de subversion. Car les homoparents qui réinvestissent ces pratiques ancestrales font davantage que de les reconduire aveuglément : ils se les réapproprient pour contourner la doxa juridique et politique dominante qui refuse de reconnaître la plénitude de leurs liens de filiation. L'état civil ignore l'autre parent ? Qu'à cela ne tienne, les homoparents feront feu de tout bois pour le faire exister aux yeux de tous. » (p. 92)

4. « Cependant, la Manif pour tous ne s'y est pas trompée : l'ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe participe d'un mouvement plus large qui conteste le système de genre dominant, à l'origine de la domination masculine et de la hiérarchie entre les sexualités. Un couple d'hommes ou un couple de femmes qui se marient, deux femmes ou deux hommes qui deviennent les mères ou les pères d'un même enfant : voilà un changement de taille non seulement dans notre système de parenté […] mais aussi au-delà, dans notre système de genre. » (p. 111)

5. « […] la filiation s'établit consécutivement à l'expression d'un acte de volonté de la part du ou des parents qui demandent à l'état civil de reconnaître leur lien de filiation avec leur enfant, en dépit parfois de l'absence évidente de lien biogénétique. C'est exactement la logique retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 octobre 2019, qui décide que rien ne peut faire obstacle à la transcription du lien de filiation avec la mère d'intention dans l'affaire Dominique et Sylvie Mennesson, un des couples pionniers de la GPA. […] Pour la première fois est utilisée par la plus haute juridiction française la notion de "maternité d'intention". Du point de vue du droit civil, réputé être attaché à l'idée que la mère est celle qui accouche, cela constitue un changement important. » (pp. 172-173)

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