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[La septieme fonction du langage | Laurent Binet]
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apo



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Posté: Dim 22 Jan 2023 14:26
MessageSujet du message: [La septieme fonction du langage | Laurent Binet]
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Il faut faire confiance à l'amitié. À sa parution déjà un peu ancienne, un ami m'a recommandé ce roman en précisant qui lui semblait avoir été écrit exprès pour moi, et une autre me l'a carrément offert. Il faut également faire confiance à son propre instinct sur la temporalité de la rencontre livresque : aucun moment n'eût été plus adapté pour piocher dans les rayons cachés de ma bibliothèque et savourer cette Septième fonction du langage que celui-ci, concomitant avec Le Sexe des Modernes, dont je retrouve la totalité des personnages ainsi que nombre de notions – le performatif, l'illocutoire et le perlocutoire associés à Judith [Butler] qui, de nouveau sous la plume de Laurent Binet, fait preuve de ne les avoir pas très bien pigés, obnubilée cette fois-ci par de ténébreux desseins érotiques à l'égard du flic (presque homonyme du célèbre écrivain et critique littéraire)...
De nombreux romans ont été convoqués pour d'opportuns rapprochements avec celui-ci, dans lequel l'intertextualité est sans doute le thème le plus significatif : sans me risquer à en avancer d'autres de mon cru, je vais me limiter à trouver de fortes analogies stylistiques et structurelles avec Le Pendule de Foucault d'Umberto Eco, qui est aussi un personnage fort important dans ce roman. Je voudrais souligner en particulier le côté satirique que ces deux ouvrages partagent ; mais à cette différence près : si Eco ironisait principalement contre le monde de l'édition et cette pensée ésotérico-new age qui n'en finit pas de nous hanter (en tant que contemporains désorientés donc assoiffés de signes occultes...), les cibles de l'humour de Binet sont multiples : les Modernes naturellement, mais aussi le politique, le genre du polar avec son hyperbole des scènes criminelles. De plus, l'auteur se pousse ici plus loin qu'Eco-romancier dans son expérimentation de la mise en abîme du roman (cf. cit. 4), et dans d'autres explorations du métalangage au moment même où il vulgarise avec beaucoup d'habileté tel ou tel concept de linguistique, lequel trouve immédiatement son exemplification dans sa narration. Cela contribue à fluidifier la compréhension de l'intrigue, à donner de l'épaisseur et de la vraisemblance à certains personnages (je pense en particulier à Slimane, qui « fonctionne » à merveille) et naturellement à rendre l'ensemble de la lecture particulièrement jouissif. Naturellement, j'ai adoré le soin des détails, des cadres caractérisant le début des années 80 (les tennismen, le discours-duel électoral Giscard-Mitterrand, etc.), jusqu'à la précision des mots italiens (et dialectaux napolitains...) et la datation de la plupart des événements – était-il vraiment indispensable de faire mourir prématurément Derrida et Searle ? Enfin, je me demande qui des personnages encore vivants a dû rire le plus jaune en lisant le livre : Kristeva ? BHL ? Sollers ?




Cit. :


1. « La cité athénienne reposait sur trois piliers : le gymnase, le théâtre et l'école de rhétorique. Nous avons la trace de cette tripartition encore aujourd'hui dans une société du spectacle qui promeut au rang de célébrités trois catégories d'individus : les sportifs, les acteurs (ou les chanteurs, le théâtre antique ne faisait pas la distinction) et les hommes politiques. De ces trois catégories, la troisième a, jusqu'à présent, toujours été la plus forte (même si on voit qu'avec Ronald Reagan, les catégories ne sont pas toujours étanches), parce qu'elle implique la maîtrise de l'arme la plus puissante : le langage.
Depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, la maîtrise de langage a toujours été l'enjeu politique fondamental, même pendant la période féodale, qui pourrait sembler consacrer la loi de la force physique et de la supériorité militaire. Machiavel explique au Prince que ce n'est pas par la force mais par la crainte qu'on gouverne, et ce n'est pas la même chose : la crainte est le produit du discours sur la force. 'Allora', celui qui maîtrise le discours, par sa capacité à susciter la crainte et l'amour, est virtuellement le maître du monde, 'eh' ! » (p. 222)

2. « 71. "Que la lumière soit." Et la lumière fut. (Manuscrits de la mer Morte, environ IIe siècle av. J.-C., plus ancienne occurrence de performatif retrouvée à ce jour dans le monde judéo-chrétien.) » (p. 325)

3. « Bayard profite de son absence pour demander à Judith de lui expliquer la différence entre illocutoire et perlocutoire. Judith lui dit que l'acte de discours illocutoire est 'lui-même la chose qu'il effectue', alors que l'acte perlocutoire entraîne certains effets 'qui ne se confondent pas' avec l'acte de discours. "Par exemple, si je vous demande : 'Pensez-vous qu'il y a des chambres libres à l'étage ?' la réalité illocutoire objective contenue dans la question est que je vous drague. Mais l'enjeu perlocutoire se joue à un autre niveau : est-ce que, sachant que je vous drague, ma proposition vous intéresse ? L'acte illocutoire sera réussi ('performed with success') si vous comprenez mon invitation. Mais l'acte perlocutoire ne sera réalisé que si vous me suivez dans une chambre. La nuance est subtile, n'est-ce pas ? D'ailleurs, elle n'est pas toujours stable."
Bayard bredouille quelque chose d'incompréhensible mais ce bredouillement même indique qu'il a compris. Cixous sourit de son sourire de Sphinx et dit : "Allons donc 'performer' !" Bayard suit les deux femmes qui dénichent un pack de bière et montent l'escalier [...] » (p. 345)

4. « Il faut faire avec ce romancier hypothétique comme avec Dieu : toujours faire comme si Dieu n'existait pas car si Dieu existe, c'est au mieux un mauvais romancier, qui ne mérite ni qu'on le respecte ni qu'on lui obéisse. Il n'est jamais trop tard pour essayer de changer le cours de l'histoire. Si ça se trouve, la fin est entre les mains de son personnage, et ce personnage, c'est moi.
Je suis Simon Herzog. Je suis le héros de ma propre histoire.
[…]
Comment Simon a-t-il deviné que le jeune "oncle" avait perdu de la famille dans le 'terremoto' ? Et comment a-t-il su que, d'une façon ou d'une autre, sans avoir de preuves sous la main, il jugerait plausible que le notable puisse être tenu responsable ? Dans sa paranoïa critique, Simon ne souhaite pas le révéler. Il ne veut pas que, si romancier il y a, le romancier comprenne comment il a fait. Il ne sera pas dit que quiconque puisse lire en lui comme dans un livre. » (pp. 476-477)

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