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[Ce que les riches pensent des pauvres | Serge Paugam, B...]
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Posté: Mer 27 Avr 2022 10:57
MessageSujet du message: [Ce que les riches pensent des pauvres | Serge Paugam, B...]
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[Ce que les riches pensent des pauvres | Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet]

En 2016, la décision de la mairie de Paris et de l'État de construire un centre d'hébergement pour sans-abris et réfugiés dans le XVIe arrondissement de la capitale provoqua des pétitions très suivies, une bataille judiciaire et enfin l'incendie des bâtiments. Cet acte de violence urbaine qui, j'opine, à quelques kilomètres de là eût été qualifié d'« émeute » voire de « séparatisme » caractéristiques des « zones de non-droit de la République » mais qui se solda ici par le gain de cause d'une population très unie, organisée et puissante, fut presque synchronique avec des manifestation analogues qui se déroulèrent dans certains quartiers huppés de São Paulo au Brésil (appelant à la destitution de la présidente Dilma Rousseff du Parti des travailleurs pour ses « allocations familiales »), ainsi qu'à Delhi en Inde (contre les politiques de discrimination positive et la majorité des enseignants et des étudiants de l'Université Nehru accusés d'antinationalisme et de gauchisme).
Ces circonstances ont appelé les quatre auteurs à mener une enquête quantitative de dimensions assez extraordinaires – 240 entretiens dans les trois métropoles sur trois continents – portant sur les représentations que les habitants de certains quartiers très privilégiés de ces villes nourrissent à l'égard des classes défavorisées. Il s'agit donc d'un travail relevant de la sociologie urbaine, puisque le fond commun des revendications de ces contestataires résidait dans la volonté de ségrégation, de discrimination, d'exclusion des plus démunis, en somme de la protection d'une « frontière » (Georg Simmel) aussi bien sociologique que spatiale. La thèse de cet essai [cf. cit. n° 1], est que la justification de cette configuration résidentielle ne tient pas uniquement aux avantages de l'entre-soi – portant bien réels dans les trois contextes géographiques – mais bien plus à une certaine représentation d'ordre moral (voire biologique) des pauvres qui, en dépit de l'évidence de la grande diversité de leur caractérisation d'une société et d'un espace à l'autre, s'avère être singulièrement similaire. Cette similarité se décline dans la supposée nécessité de « se protéger des pauvres » (chap. 3) et dans les stratégies en vue de « justifier la pauvreté » (chap. 4). Ces dernières à leur tour comportent dans les trois cas un mélange – différemment dosé – d'éléments similaires : racismes et « naturalisation de la pauvreté » d'une part, justification des privilèges par les « idéologies du mérite » et les « répertoires néolibéraux » d'autre part. Les effets de cette construction idéologique consistent en des discriminations que les sociologues théorisent sous forme d'un triptyque (chap. 5) : frontière morale, répulsion physique et neutralisation de la compassion (qui pourtant subsiste, à différents degrés, ne serait-ce que sous forme d'obligation du maintien de la paix sociale par une certaine forme de solidarité).
Dans cet essai, la proportion entre la théorisation et les verbatim des entretiens est idéale. Parfois, cependant, j'ai eu le sentiment d'une disproportion entre les moyens déployés pour la démonstration et les contenus de ces représentations des pauvres, somme toute assez stéréotypées, frustes et incohérentes ; mais ce sentiment a été tempéré par la stupéfaction devant l'adaptation de cette représentation dans des contextes urbains, culturels, géographiques si variés. Je crois donc que j'ai privilégié les analogies aux singularités – que le chap. 6, davantage que les autres, tente de théoriser. Cette approche comparatiste et quantitative, grâce précisément à cette démarche, par son envergure, et malgré ses spécificités (représentations, urbanisme, problème de généralisation), s'insère de façon très opportune dans une étude de la sociologie de la pauvreté.




Table [avec réf. aux cit.]

Introduction [n° 1]:
- La production de l'ordre moral
- Le caractère indésirable des pauvres
- Justifier l'infériorité des pauvres

1. Enquêter dans les beaux quartiers à Paris, São Paulo et Delhi :
- Le choix des métropoles
- Le choix des quartiers
- Le jeu des échelles d'analyse

2. Produire l'ordre moral :
- Repli et régulation des interactions urbaines
- Le sentiment d'adéquation socio-spatiale [n° 2]
- Entre-soi de classe et stratégies de reproduction sociale
- Intégration ou refus de certaines catégories populaires dans l'ordre moral local

3. Se protéger des pauvres :
- Désordre, souillure et contamination [n° 3]
- De l'obsession sécuritaire aux discriminations [n° 4]

4. Justifier la pauvreté [n° 5] :
- Racismes et naturalisation de la pauvreté
- Idéologies du mérite et répertoires néolibéraux de la justification des privilèges

5. Le triptyque de la discrimination :
- La construction d'une frontière morale [n°6]
- Un processus de répulsion
- La justification des inégalités et la neutralisation de la compassion [n° 7]

6. Refoulement de la solidarité ou solidarité à distance ? :
- Les déterminants de la solidarité [n° 8]
- L'empreinte d'un régime d'attachement [n° 9]

Conclusion

Annexe méthodologique : le déroulement de l'enquête

Liste des interviewés
[...]



Cit. :


1. « Or il est possible de faire l'hypothèse que ce choix résidentiel des plus riches [l'auto-ségrégation ou la constitution de l'entre-soi urbain] est également motivé par des représentations singulières de la pauvreté urbaine et par une volonté de mise ou de maintien à distance des pauvres ainsi altérisés, et plus généralement par un rapport aux catégories populaires précarisées qu'il convient aujourd'hui d'étudier en tant que tel. Ainsi, nous proposons d'étudier deux processus susceptibles de se renforcer mutuellement : à l'agrégation affinitaire entre les riches vient en effet s'ajouter ce que l'on pourrait appeler une ségrégation discriminante à l'égard des pauvres. » (p. 11)

2. « […] l'auto-agrégation résidentielle est généralement motivée par deux logiques principales : d'une part, par un sentiment de partage (avec celles et ceux que l'on perçoit comme ses semblables ou avec d'autres groupes) de certaines représentations, appréciations, valorisations et classifications ; de l'autre, par une approche plus explicitement stratégique de placement et d'accumulation de ressources dans un but de reproduction ou de mobilité sociale. » (p. 70)

3. « Selon les métropoles, elle [l'insécurité] apparaît souvent reliée à l'exode rural ou à l'immigration. Faut-il alors considérer que la mondialisation et les phénomènes migratoires liés aux processus d'urbanisation et de modernisation des villes ont réactivé l'image de la "classe dangereuse n'appartenant pas à la ville, suspecte de tous les crimes, de tous les maux, de toutes les violences, non seulement par ses caractères propres, mais par le fait de son origine extérieure à la ville" [Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle] ?
[…]
Modulée, réactivée et réadaptée en fonction des réalités locales, la question de l'hygiène a ainsi été posée dans chaque métropole en lien avec les besoins des élites de légitimer les inégalités sociales et de justifier leur traduction spatiale. C'est en cela que les représentations que la problématique sanitaire nourrit acquièrent un caractère idéologique. » (pp. 118-119)

4. « Dans les trois villes, les personnes que nous avons interviewées ont identifié les lieux, les arrondissements ou les quartiers potentiellement dangereux et avouent ne pas s'y aventurer. En les délimitant de façon spontanée, elles désignent en réalité des populations qui leur apparaissent comme indésirables et dont il convient de se protéger. La figure du migrant se dégage très vite dès qu'il s'agit de nommer les populations dont il faut se méfier ; celle des drogués incontrôlables ou des SDF suscite également de nombreuses appréhensions ; quant aux employés de maison ou aux travailleurs qui leur rendent régulièrement des services, ils font l'objet d'une défiance constante. » (p. 158)

5. « Lorsqu'ils [les interviewés parisiens] cèdent à la tentation de la naturalisation [de la pauvreté], ils se cantonnent généralement à la mise en avant de supposés dons génétiques des privilégiés ou, à l'inverse, de tares culturelles (et non biologiques) dont seraient affligés les plus pauvres. Les références à la race sont relativement discrètes dans les discours et, lorsqu'elles émergent, c'est plutôt dans une variante culturelle que biologique. À São Paulo, on retrouve une insistance sur l'importance des supposés dons génétiques et un racisme présent mais souvent dissimulé [on euphémise les mulâtres en désignant les Nordestins] dans les contextes les plus publics. Les personnes interviewées à Delhi se distinguent, elles, par une mobilisation beaucoup plus fréquente de discours visant à naturaliser la pauvreté sur la base de la caste. Elles s'appuient pour cela, d'une part, sur la théorie du karma et, de l'autre, sur l'affirmation de différences culturelles entre les groupes de caste. » (pp. 170-171)

6. « Les formes de discrimination des riches envers les pauvres sont rarement évoquées par les premiers de façon directe et systématique comme relevant d'un argumentaire structuré. Elles existent de façon éparse, plus ou moins prononcée selon les lieux et les contextes. Mais elles sont récurrentes et on les retrouve aussi bien à Paris qu'à Delhi ou à São Paulo. Les entretiens recueillis dans les trois métropoles et dans les douze quartiers de notre enquête confirment trois dimensions fondamentales de ce processus qui peuvent, dans certains cas, se renforcer mutuellement : un processus de construction d'une frontière morale, un processus de répulsion physique, un processus de neutralisation de la compassion. » (p. 220)

7. « L'écart de revenus entre les riches et les pauvres est si élevé dans ce pays [le Brésil, mais est-ce utile de le préciser ?] qu'il impose aux premiers de se justifier et de se disculper. Il est frappant de constater que nombre d'interviewés éprouvent intensément ce besoin, un peu comme s'il restait en eux-mêmes un fond de mauvaise conscience que seul un travail d'auto-persuasion argumenté pouvait dissiper. En puisant dans leur biographie personnelle ou familiale, ils relatent des épisodes suggérant le courage, la témérité, la volonté de réussir dont eux-mêmes ou leurs ascendants ont fait preuve au cours de leur vie pour se convaincre qu'ils ne doivent rien à la société et qu'il serait même absurde de penser qu'ils pourraient être, ne fût-ce qu'indirectement, responsables de la misère qui sévit auprès d'eux. Ils en tirent souvent un sentiment de fierté, de gloire personnelle ou familiale, qu'ils ne cherchent pas à dissimuler. Ce qu'ils ont acquis, ils le doivent prétendument avant tout à leur mérite et à la loi de sélection naturelle qui récompense les plus doués et les plus combatifs. L'idée que les pauvres pourraient être victimes d'un système foncièrement inégalitaire et injuste leur est à l'inverse étrangère – du moins les discours n'en portent-ils aucune trace. Certains les considèrent même comme des parasites. » (p. 239)

8. « La compassion des uns à l'égard des pauvres apparaît ainsi en tension avec la suspicion que d'autres manifestent vis-à-vis de cette catégorie située au bas de la hiérarchie sociale et jugée paresseuse et profiteuse, voire avec la culpabilisation directe des chômeurs et des assistés. Dans le même pays, ces deux attitudes peuvent cohabiter mais également varier en intensité en fonction notamment de la conjoncture économique, à tel point qu'il est possible d'observer des cycles alternant successivement phases de croissance de la compassion et phases de croissance de la culpabilisation. » (p. 249)

9. « La "naturalisation" et la "victimisation" de la pauvreté peuvent donc être considérés comme deux pôles opposés dans l'appréhension du phénomène. Entre ces deux extrêmes, il existe comme un continuum de situations autour de ce que l'on peut appeler la "culpabilisation" des pauvres. Certaines sociétés ne se réfèrent pas à un ordre social naturel où les pauvres seraient destinés à occuper des fonctions inférieures, mais n'adhèrent pas non plus pleinement à l'image opposée où ils seraient des victimes pour lesquelles il faudrait se mobiliser collectivement. Les pauvres sont donc appelés à se prendre en charge eux-mêmes en saisissant les opportunités que le système économique et social peut leur procurer et, faute d'y parvenir, ils sont alors jugés incapables, irresponsables ou paresseux. » (p. 262)

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