L’éveil des consciences.
Spirou, pilier de la bande dessinée franco-belge, n’est pas une œuvre close sur elle-même, à l’instar du Tintin d’Hergé, créé en 1929, neuf ans plus tôt et jalousement conservé dans le formol par les ayants-droit depuis le décès de son génial auteur. Spirou et Fantasio sont passés par des mains talentueuses (Jijé, Franquin, Chaland, etc.). Son univers codifié s’est constamment enrichi. Plusieurs personnages en ont émergé et, en marquant leur époque, sont entrés de plain pied dans l’imaginaire collectif. A la série principale s’est adjointe, en 2006, la déclinaison « Le Spirou de », des histoires en un volume, indépendantes de la série princeps, réalisées par des auteurs différents. En 2008, le talentueux Emile Bravo en réalise le quatrième volume, une œuvre magnifique, confondante d’intelligence, de beauté, de pudeur et d’humour que l’auteur va ensuite continuer dix ans plus tard avec « Spirou ou l’espoir malgré tout », aventure en quatre parties soit quatre albums dont le dernier, en 2022, reste à paraître.
Aux abords vertigineux de la Seconde Guerre mondiale, le jeune Jean-Baptiste est à l’orphelinat de Saint-Pancrace d’où il se fait expulser arbitrairement car l’innocence est tentatrice donc coupable selon le père prêcheur. Le rouquin vif, costaud et débrouillard est placé au Moustic Hôtel, à Brussels, pour devenir groom, sous la férule cinglante du portier Jean-Baptiste Entresol. Les clients chics et aisés fréquentent l’établissement. La couturière de renom Caroline Delastre en couple avec le champion de boxe Alphonse Choukroune y viennent en amoureux. Le nazi arrogant Von Glaubitz et trois diplomates polonais s’y rencontrent en terrain neutre pour s’entendre au sujet de l’avenir de la Pologne. Entre allées et venues, palabres et pourparlers, l’hôtel vit et frémit. Les personnages se croisent, échangent, échafaudent, des rêves, des espoirs, des amours, des cauchemars, des violences, la mort. Spirou, présent et invisible, recueille les coups et les confidences. Il découvre aussi les émois amoureux en approchant la jeune et belle soubrette Kassandra Stahl. Puis apparaît Fantasio, journaliste au Moustique, chasseur de scoop et gaffeur patenté. En cherchant des potins auprès de Spirou, les deux personnages finissent par se lier d’amitié.
L’histoire d’Emile Bravo dit bien plus en faisant sentir les atmosphères, saisir les attitudes, entendre les non-dits. Ses petites cases sagement disposées rayonnent de vitalité. Le graphisme, marqué et vif est un trait d’union entre celui de Jijé et le Franquin des origines. La mise en couleur de Delphine Chedru apporte une patine « aussi belle que celle des siècles ».
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