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[Roman avec Cocaïne | M. Aguéev]
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apo



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Posté: Mer 09 Fév 2022 15:16
MessageSujet du message: [Roman avec Cocaïne | M. Aguéev]
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Je crois sincèrement qu'une partie considérable du charme de ce roman a résidé dans le mystère durable de l'identité de son auteur, qui envoya le manuscrit en russe depuis Istanbul à l'Union des écrivains russes de Paris dans les années 1930, signé « M. Aguéev ». Depuis les années 1990, on sait que ce pseudonyme correspond à un certain Mark Lvovitch Levi (mort en 1973), et de ce fait on apprécie davantage, comme de l'auto-ironie amère, le voile d'antisémitisme qui plane à l'encontre des deux condisciples juifs, Stein et Eisenberg, du protagoniste, Vadim Maslennikov dans la description de sa vie au lycée. Ce personnage dostoïevskien a séduit certains lecteurs pour son immoralité et extrême cruauté à l'égard de sa mère, pour sa misogynie avec les femmes qu'il rencontre, pour son paisible nihilisme lorsqu'il plonge, avec une détermination systématique et jusqu’au-boutiste, dans la toxicomanie. D'autres ont trouvé dans la prose de l'auteur, et surtout dans ses phrases longues et dans ses descriptions sensorielles et très originales, une filiation avec la grande tradition du roman russe du XIXe siècle et même des similitudes avec Proust. Assurément, les descriptions en relation avec la cocaïne sont tout à fait spectaculaires.
Toutefois, personnellement, j'ai le sentiment que le mystère qui a fait du livre un roman culte l'a également desservi, car il pâtit, comme beaucoup de premiers romans qui gagnent grandement à être revus par un éditeur bienveillant qui demande à son auteur d'en retravailler certaines parties, d'une certaine inégalité ainsi que de manque d'homogénéité d'un chapitre à l'autre. La rupture entre les parties : « Le lycée », « Sonia », « Cocaïne » et « Pensées », ces deux dernières n'en faisant en réalité qu'une seule, en elle-même, n'est pas tellement gênante. Mais c'est à l'intérieur même de ces parties, et surtout dans la première, que se succèdent des chapitres de facture et de style assez différents et d'intérêt franchement inégal.
Il faut noter aussi une remarquable théorie psychologique (cf. cit. 3 et 4 infra) : celle de la balançoire morale qui oscille entre noblesse et bestialité. Cette théorie associé d'abord à la personnalité du protagoniste, comme pour en expliquer son immoralité, est transposée, à la fin du même chapitre qui figure parmi les tout derniers, à une échelle collective. Là, il est impossible, à mon sens, de la dissocier de la Révolution d'Octobre, qui, en brillant par son absence dans le récit qui se déroule entre 1916 et 1917, pouvait sembler caractériser le nihilisme du héros – c'est ainsi que l'interprétait la traductrice-préfacière Lydia Chweitzer. Au contraire, j'émets l'hypothèse que, par cette transposition finale, l'auteur lui-même assume un jugement moral extrêmement sévère contre la Révolution, qui lui aurait certainement coûté très cher s'il ne s'était pas exilé.


Cit. :


1. « Une soirée qui débutait par un échec en annonçait toute une série. Après trois heures d'errance sur les boulevards, après une série de déconvenues – où un échec en conditionnait un autre, car avec chaque nouveau refus je perdais un peu plus de ma ruse fiévreuse et patiente de devenais grossier – me vengeant, par cette grossièreté, sur chaque nouvelle femme de tous les affronts infligés par les précédentes – fatigué, à bout de forces d'avoir marché, les chaussures blanches de poussière, la gorge que les vexations desséchaient, n'éprouvant non seulement plus de besoin sexuel, mais me sentant asexué comme jamais – je continuais cependant à errer sur les boulevards, comme si une obstination amère ayant pris le mors aux dents et une espèce de brûlante souffrance de celui qui est injustement rejeté me retenaient, m'empêchant de rentrer à la maison. Ce sentiment pénible m'était familier depuis l'enfance. » (p. 90)

2. « Elle : Votre camarade chante fort bien. Mais pourquoi ferme-t-il les yeux ? Ah oui ! c'est pour ne pas voir que je me bouche les oreilles.
Moi : L'esprit ajoute à l'apparence d'une femme la même chose qu'un vêtement masculin prête à sa silhouette, il souligne ses charmes et ses défauts.
Elle : Je crains que ce ne soit que grâce à ce vêtement que vous avez apprécié mon esprit.
Moi : C'est par politesse. Il serait dommage d'apprécier votre silhouette d'après votre esprit.
Elle : On pourrait préférer la galanterie à la politesse.
Moi : Je vous remercie.
Elle : De quoi ?
Moi : La politesse est asexuée. La galanterie est charnelle.
Elle : Dans ce cas, je peux vous assurer qu'il n'est pas dans mes intentions d'attendre de vous de la galanterie. Et d'ailleurs vous... Pour celui qui est galant, la femme sent la rose, et pour ceux qui sont comme vous, on dirait que même la rose sent la femme. Et si on vous posait la question, vous ne sauriez même pas pour de bon ce qu'est une femme.
Moi : Ce qu'est une femme ? Mais si, pourquoi ? Je sais : la femme c'est comme le champagne, froide elle enivre davantage, et dans un emballage français elle coûte plus cher.
Faisant flotter son pantalon et claquant des talons, elle approcha de moi. "Si votre définition était exacte, dit-elle doucement avec un clin d’œil éloquent du côté de Nelly et Kitty, j'aurais le droit d'affirmer que votre cave à vins laisse beaucoup à désirer. […]" » (pp. 98-99)

3. « […] Une telle succession de sentiments manifeste-t-elle simplement une caractéristique particulière de la cocaïne qui l'impose à mon organisme, ou bien cette réaction est-elle propre à mon organisme qui, sous l'effet de la cocaïne, ne fait que se révéler avec une plus grande évidence ?
La réponse affirmative à la première partie de la question signifiait l'impasse. La réponse affirmative à la deuxième partie suscitait d'autres questions. Car il est évident qu'en attribuant une réaction aussi extrême à mes sentiments (simplement révélés plus brutalement par l'effet de la cocaïne) j'étais obligé de reconnaître par là même qu'en dehors de la cocaïne, et dans toutes autres occasions, l'exaltation de mes bons sentiments allait (sous forme de réaction) entraîner à sa suite des appels à la bestialité.
Je me demandais : l'âme humaine n'est-elle pas quelque chose comme une balançoire qui, ayant reçu une poussée vers l'humanité, est, de ce fait, prédisposée à s'élancer du côté bestial ? » (p. 204)

4. « Comprenez donc, bons prophètes, que c'est justement les sentiments d'humanité et d'équité, déposés dans nos âmes, qui nous obligent à nous indigner, à nous révolter, à entrer en fureur. Comprenez que si nous étions privés de ces sentiments nous ne nous indignerions, nous ne nous révolterions pas du tout. Comprenez donc que ce n'est ni la perfidie, ni la ruse, ni la lâcheté de l'esprit, mais seulement l'Humanité, l’Équité et la Noblesse de l'Âme qui nous obligent à nous révolter, à nous indigner, à nous livrer à une fureur vengeresse. Comprenez, prophètes, que le mécanisme de nos âmes humaines, c'est le mécanisme de la balançoire, où le plus grand envol vers la Noblesse de l'Esprit entraîne le plus grand mouvement de retour vers la fureur de la bête.
Cette tendance à lancer la balançoire de l'âme du côté de l'humanité et dont la conséquence constante est le retour à la bestialité traverse, comme une trace merveilleuse et en même temps sanglante, toute l'histoire de l'humanité et nous voyons que les époques particulièrement passionnées, qui se singularisent par des élans réalisés dans les faits, vers l'esprit et l'équité, nous semblent particulièrement terribles par les cruautés et les forfaits sataniques qui s'y mêlent. » (p. 212)

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Swann




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Posté: Mer 09 Fév 2022 20:56
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J'aime beaucoup ces citations !
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