Sur la lancée de La linea del colore, j'ai relu le premier roman d'Igiaba Scego, Rhoda, qui possède encore tous les caractères d'une œuvre de littérature migrante ; et d'abord, celui qui peut être pris pour une thèse anti-sociologique : que les formes d'adaptation identitaire à la migration, comportant l'adhésion ou le refus de l'intégration, sont une question individuelle et non générationnelle (au double sens de génération : celle liée à la filiation, et celle de l'expression « immigré d'énième génération », à supposer que l'on puisse légitimement hypostasier une hérédité migratoire...). Ici, trois femmes somaliennes émigrées à Rome, la tante Barni et ses deux nièces Rhoda et Aisha, ont chacune sa stratégie pour affronter la souffrance de la migration. Rhoda en meurt (quoique indirectement) dès le début du roman, mais son personnage décédé est le seul qui parle à la première personne.
Les 5 chapitres du livre sont formés d'un succession inaltéré des points de vue des quatre personnages principaux pour conter l'histoire de la « chute » du personnage éponyme, dans un ordre qui correspond à une narration non-chronologique (avec l'indication des dates entre parenthèses, d'août 2001 à novembre 2003) : Aisha – la sœur cadette de la protagoniste –, Pino – son ami italien puis devenu le petit ami d'Aisha –, Barni – la tante qui est toujours accompagnée de son amie et confidente Faduma –, et enfin l'esprit de Rhoda elle-même.
Il est possible qu'une certaine identification puisse être opérée entre l'auteure et le personnage d'Aisha, non seulement par rapport à la question principale de l'identité et de l'intégration, mais aussi dans la démarche d'un auteur de littérature migrante qui consiste dans l'éclaircissement de soi au lectorat intéressé afin de favoriser la meilleure réception possible par la connaissance et la compréhension réciproques. C'est ainsi qu'il faut interpréter le poids donné à la perception de la société d'accueil par la communauté minoritaire, de même que la mise en évidence mais aussi en perspective parfois critique de ses propres caractéristiques spécifiques (morales-religieuses, culturelles, culinaires, rituelles – comme l'infibulation, etc.), et enfin la description de la vie quotidienne dans la Somalie contemporaine – dès lors que Rhoda y est retournée pour mourir – et de celle auprès de la diaspora somalienne de Londres – où Rhoda a songé à s'installer. Dans ce même but, on trouve un glossaire en fin de roman des mots somaliens utilisés dans le texte, sachant que ces références linguistiques étrangères, de même que la variété des références culturelles importées et tierces (par ex. à la musique brésilienne et aux littératures du monde – en particulier anglo-saxonnes), mais aussi une certaine attention à des aspects régionalistes et pas forcément valorisés par la littérature italienne mainstream, ont été abondamment remarquées et commentées dès le début des études littéraires italiennes sur sa littérature migrante. Ce premier roman montrait donc patte blanche à son lectorat et à ses critiques, conformément aussi aux attentes d'une maison d'édition plutôt spécialisée. Il était, en cela aussi, dans l'air du temps, en 2004. Néanmoins, ceux qui, dans ce milieu restreint comprenant également de nombreux départements d'études italiennes dans les universités des quatre coins du monde, ont (avons) « parié » sur la pérennité de la carrière d'écrivain d'Igiaba Scego (âgée alors de 30 ans) – contrairement à une majorité d'auteurs migrants éphémères – avaient déjà trouvé dans ce roman – et même dans les nouvelles publiées auparavant dans des recueils collectifs – de bons arguments pour nourrir leurs-nos prévisions. Igiaba a assurément fait du chemin depuis...
Cit. :
1. « - Piangere per un gaal ? I gaal ti tradiscono... non ci capiscono... e poi Aisha cara devi sapere che i gaal non muoiono, imputridiscono. La loro carne non è come la nostra, è marcia... segnata dal peccato.
- Sei ingiusta sorella...
- Sono ingiusta ? Quell'uomo ora è cibo per i vermi e il Paradiso non gli aprirà certo le porte. Non era circonciso, non faceva le preghiere... credeva in un Gesù Dio... insomma un soggetto così si merita la mia compassione ? No, bella... ed è ora che lo capisca anche tu come funziona il mondo... qui ci sono i gaal e qui, dalla parte opposta, ci siamo noi. Siamo due mondi non destinati a incontrarci. » (pp. 68-69)
2. « - Sai mio marito Roberto proprio non capiva questo nostro amore viscerale per le banane. Mi diceva sempre (ormai però si è abituato) : "Ma questa è frutta, si mangia dopo i pasti, non insieme al piatto principale". Mica si convinceva che per noi la banana è come il pane per loro... e come rido di questo... e come le cose sono facili con una spiegazione. Non credi ?
- Non so.
- Sì, i miei figli mangiano la banana con il piatto principale, nello stesso piatto, ma non rinuncerebbero mai alla loro "tazzulella 'e ccafè"... capisci ? Una cosa non nega l'altra. Capisci ?
Faduma non capiva. Nura Hussein era troppo avanti a lei. La guardò bene come si guardano certi esemplari rari. "Ecco come sono gli integrati", pensò. Sì, gli integrati per Faduma erano come Nura. » (pp. 106-107)
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