Le tranchant de la lune.
Paru en 1957, livre fondateur pour le jeune poète de Grignan d’alors, Philippe Jaccottet a 32 ans, « La promenade sous les arbres » pose en prose les jalons d’une réflexion poétique « encrée » dans le réel qu’il va peaufiner et nuancer toute sa vie. L’élément accoucheur est la découverte du texte du poète irlandais, mystique et visionnaire George William Russell (1867-1935), « Le Flambeau de la vision » (1918, trad. en français en 1952). D’abord enthousiaste avec le « clairvoyant » Irlandais, Jaccottet pointe ensuite sa rhétorique éculée puis propose enfin sa propre poétique où le questionnement du monde est essentiel à l’aide de mots simples et ajustés pour approcher « l’énigme de la lumière ». Les « Exemples » qui s’insèrent ensuite pour étayer sa démarche poétique débutent par « L’habitant de Grignan », Philippe Jaccottet s’installant dans une commune drômoise à l’écart de l’agitation, sertie dans une nature élémentaire et sublime. A tâtons, par bribes, le poète note, ébauche, reprend ses écrits afin de les accorder à une « vérité pressentie », les notes brèves s’ajustant aux observations fugaces dans une mélodie inachevée. « La promenade sous les arbres » qui donne le titre au recueil clôt la suite des exemples et propose, à travers une conversation fictive, d’entendre la voix des arbres, ces « premiers serviteurs de la lumière ». S’ensuivent des « Remarques sans fin » complétées de trois notes éloquentes. La note II du 30 août 1956 est décisive. La nuit, dans un silence sidéral, la lune luit comme la lame d’un couperet. Les abîmes pressentis génèrent de l’épouvante et de la douleur. Le poète est sidéré, au bord de la panique et ne retrouve un peu d’aplomb que lorsque le soleil répand à nouveau ses voiles rassurants de lumière. Dans un éclair de lucidité, on est saisi par les abysses et l’évidence de la finitude, arpentant la chambre noire d’une plainte douloureuse et puis la lanterne magique plaque les images peintes des rêves sur la réalité et la vie reprend son cours, cadrée depuis la fenêtre. Dans sa fragilité existentielle et son opiniâtreté à témoigner humblement, Philippe Jaccottet est un poète fraternel.
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