Le vertige d’exister.
La troisième et ultime semaison assemble les carnets de l’atelier poétique de Philippe Jaccottet (1925-2021) courant de 1995 à 1998. Avec une production de 160 pages sur quatre ans, proportionnellement aux deux précédentes semaisons, l’œuvre serait nettement plus roborative si elle n’était davantage truffée de rêves relatés de manière factuelle, à peine contextualisés. Une mise en réseau aurait permis d’en dégager les idées fortes, un terreau conceptuel ou une trajectoire poétique. A nouveau, les citations sont nombreuses et demeurent toujours aussi percutantes (Goethe, Proust : « Peut-être est-ce le néant qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant… », Rousseau, Rilke, Plotin vu par Hadot : « Retranche toutes choses disait Plotin mais, dans une vivante contradiction, ne faudrait-il pas dire aussi : « Accueille toutes choses » ?, Claudel : « Le froid matin violet », Thoreau : « une attente sans fin de l’aube… Avoir une action sur la qualité du jour, voilà la plus élevé des arts », etc.). A ce questionnement existentiel perpétuel à travers des pépites extraites d’œuvres fraternelles, le poète y adjoint des compositeurs essentiels (Mozart, Schubert, Bach, etc.), des peintres (Le Tintoret, Piero della Francesca, Giorgio Morandini), quelques films, documentaires, voyages, tout un patchwork culturel assemblé sur une même trame, une vision complémentaire de la vie.
Là où le poète suisse est probablement le plus touchant c’est quand il traduit ses sensations et ses impressions d’hiver lorsque la nature est nue, l’écorce et la pierre faisant saillir l’os du paysage. Peut-être hanté par l’épaisseur des corps, ces sacs physiologiques guettés par la sénescence, le poète raccommode, rabote, réduit les mots à leur signification intrinsèque pour dire au plus près, au plus juste la matérialité et l’évanescence des êtres et des choses. L’apparat des parures, des chatoiements, des fioritures est systématiquement remisé par une écriture ascétique, reflet d’un regard d’oiseau de proie et d’une humilité quasi sacerdotale qui entraîne le poète vers le sol, ébloui par le liseron ou la violette, cette fleur de l’ombre.
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