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[Le Jardin de cristal | Mohsen Makhmalbâf]
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apo



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Posté: Mer 03 Juin 2020 21:04
MessageSujet du message: [Le Jardin de cristal | Mohsen Makhmalbâf]
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Le jardin de cristal, c'est le paradis qui attend les martyrs, les hommes morts en guerre. Ce roman, c'est presque un huis clos qui se déroule autour de la cour et du bassin d'une maison que la Fondation des Déshérités a confisquée et attribuée à quatre familles victimes de la guerre, lesquelles y vivent dans un voisinage étroit jusqu'à la promiscuité. Les femmes et les jeunes enfants y prédominent, car il ne reste d'hommes qu'un grand-père, un mutilé, un opiomane, et le souvenir pesant de plusieurs martyrs... D'autres hommes passent, fécondent, s'affligent mais ne s'arrêtent pas.
Le récit s'ouvre, avec des pages d'une impressionnante virtuosité descriptive, sur l'accouchement d'une jeune veuve de guerre ; il s'achève sur l'impossible allaitement d'un nouveau-né par une grand-mère qui a perdu en guerre son mari et ses deux fils, et dont la belle-fille a perdu la raison en mettant au monde ce dernier orphelin.
La solidarité règne dans cet univers de femmes, mais aussi la malveillance, les commérages, les disputes, les confidences, les jalousies. L'absence des hommes, leurs séquelles physiques et morales, leurs fragilités rendent-elles moins durs ceux qui restent ? Non : la tyrannie des conventions sociales et les méfaits du virilisme s'imposent à tous pardessus tout. Le bonheur ne leur est pas davantage permis qu'à leurs épouses ni à leurs enfants.
L'auteur de ce premier roman traduit en français est un cinéaste connu, réalisateur entre autres du célèbre Kandahar (2001), et scénariste d'autres films tournés par sa fille et également primés à Cannes. L'écriture s'en ressent : très visuelle tout en foisonnant de dialogues et de monologues intérieurs, parfois enchevêtrés, qui permettent de caractériser et de s'y retrouver parmi la multitude de personnages dont les prénoms ne seraient sinon pas toujours facilement reconnaissables, même en ayant quelque familiarité avec le persan.
Cette sorte de paysage documentaire de la condition des femmes iraniennes en temps de guerre ne doit cependant pas être pris pour une lamentation victimaire, ni contre la société dans laquelle elles vivent (l'Islam, le machisme, etc.), ni contre les hommes ; ces femmes ne sont ni révoltées ni innocentes ni n'aspirent à un modèle différent du leur. Le paysage qui se profile de cette œuvre n'en demeure pas moins un hommage à ces femmes iraniennes auxquelles le livre est dédié.


Cit. :

1. « Lâyeh réfléchit encore quelques instants, déchirée par des sentiments contradictoires.
Échappe-lui. Choisis la liberté, ne sacrifie pas le bonheur de tes enfants.
Accepte, Lâyeh. Toutes les veuves n'ont pas cette chance. Le chameau du bonheur n'est pas comme celui de la mort, qui vient s'agenouiller devant chaque porte.
Regarde ses défauts, regarde-les bien, Lâyeh. Ne te laisse pas abuser par ton cœur. Pense à tes enfants, ne voulais-tu pas rester fidèle au souvenir de ton défunt mari ? Pourtant, ils ont besoin d'un père, Lâyeh. Tu es seule, comment les élèveras-tu ? Le destin ne se montre pas toujours équitable.
Ses défauts, Lâyeh.
[…]
Tout ce qui la dérangeait, il fallait le dire maintenant, car elle ne pourrait pas revenir en arrière. Sans oublier pour cela qu'elle n'était pas l'acheteuse, mais celle que l'on vendait. A-t-on déjà vu une marchandise peser et estimer son acheteur ? Une marchandise de seconde main, qui plus est, dans le cas de Lâyeh. À quoi bon jouer au plus malin ? Elle devait rester patiente. Implorer le ciel de lui plaire. Ne pas non plus montrer trop d'empressement à l'accepter, ce n'était pas correct. Tu en doutes ? Les hommes n'apprécient pas une telle familiarité, même de leur propre épouse – tu lui demanderas toi-même plus tard –, tu serais alors déconsidérée. Déchue aux yeux de ton futur mari. Fais la coquette. Joue. Repousse des mains et attire du pied. Même s'il acquiesce, toi, refuse ! La hâte n'est pas de mise. Réponds que tu as besoin d'y songer, mais ne réfléchis pas. Il y a peu d'hommes sincères, et les imposteurs sont légion. Tu vis dans une période troublée, Lâyeh. Les hommes manquent. » (pp. 118-119)

2. « Elle avait enduré les raclées sans une plainte. Son visage la brûlait encore des gifles qu'elle avait reçues : frappe, mais doucement. Que personne ne s'en aperçoive. Humilie une femme devant mille hommes, jamais devant une autre femme ! Sans un mot, elle lui avait pourtant fait comprendre : devant les inconnus, lâche tes coups. Pas chez nous ou devant nos voisins. Pour vivre ici, j'ai besoin que les autres me considèrent. L'estime portée à une femme dépend du respect que lui témoigne son mari. » (pp. 153-154)

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