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[La fin de l'homme rouge | Svetlana Alexievitch]
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apo



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Posté: Lun 02 Juil 2018 15:50
MessageSujet du message: [La fin de l'homme rouge | Svetlana Alexievitch]
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Qui se souvient du film Shoah de Claude Lanzmann ?
Cette lecture m'a fait un effet semblable. Ce livre est un interminable catalogue de témoignages de femmes (majoritairement) et d'hommes de tous âges, conditions, origines géographiques au sein de l'immense ex-empire soviétique, mêlant souvenirs d'avant et d'après la chute du communisme parfois s'exprimant choralement dans une famille ou au sujet d'une même personne, mêlant victimes et bourreaux, opposants et partisans, résignés et révoltés... Témoignages divers, tous nécessaires, tous profondément troublants, très informatifs pour la plupart, suivant une certaine chronologie ; en fin de parcours, ils sont parvenus à développer une image de l'Homo sovieticus, sous forme de requiem en sursis, avec une complétude de thèmes que les titres (très poétiques) des chapitres ne laissent pas présager. Peut-être rien, avant le travail de l'historien du futur, pas même l'étude du sociologue contemporain, n'aurait mieux saisi l'humanité d'une époque, d'une société, d'une expérience politique au seuil de la disparition. La spécificité de l'oeuvre journalistique-littéraire est naturellement de pouvoir encore restituer les émotions tant que les témoins sont vivants.

Les partis pris de l'auteure ?
D'abord avoir hypostasié ce fameux Homo sovieticus... Serait-il caractérisé, de tout temps, par la souffrance ? Pas un témoignage ne présente une lueur d'optimisme, de joie de vivre. Il apparaît aussi que la violence politique lui est consubstantielle : les guerres, les déportations et résidences contraintes, les camps et les tortures carcérales, la peur et la délation ; et en même temps, invariablement : la nostalgie (d'avant, d'ailleurs...), le patriotisme-nationalisme-xénophobie, l'acceptation assumée du rôle sacrificiel de la femme, la difficulté à se concevoir en tant qu'acteur responsable de la chose publique, du destin collectif...
Le choix des « histoires » rapportées. Il serait naïf de songer à un seul critère, unilatéral, unidirectionnel, éventuellement projectif, qui aurait inspiré l'auteure même seulement dans la recherche des protagonistes, sinon dans la sélection successive des récits. Les thèmes, apparaissent en filigrane : de plus évidents (les réactions au putsch de 1991) au plus spécifiques (les femmes qui correspondent avec des détenus inconnus et tombent amoureuses d'eux). Néanmoins, certains mériteraient d'être explicités : par ex. la prégnance du suicide, surtout lorsqu'il n'est pas lié à des causes politiques. Et la question demeure : sélection de thèmes ou recherche de personnes, et surtout comment s'est opérée l'exclusion ?
Le traitement (littérarisation) des entretiens. Les incises paratextuelles (entre parenthèses et en italiques, comme dans les textes dramaturgique ou les scenarii), les points de suspensions et la syntaxe hachée, le rendu de l'oralité : il serait également naïf de prendre cette typographie au premier degré et de supposer que les textes consisteraient en simples verbatims transcrits depuis des enregistrements de magnétophone... ou alors tous les Russes, quel que soit leur niveau scolaire, s'expriment spontanément dans un style littéraire exquis ! Le danger de la littérarisation, comme toujours, est de transformer les témoins en personnages...


Cit. :

« J'ai rencontré une voisine, elle m'a dit : "J'ai honte de e réjouir comme ça pour un moulin à café allemand... Mais ça me rend heureuse !" Elle qui, il n'y a pas si longtemps, avait passé toute une nuit à faire la queue pour un recueil d'Akhmatova, voilà que maintenant, elle était folle de joie à cause d'un moulin à café ! » (p. 84)

« On en rêvait, mais on vivait dans un monde soviétique, où il n'y avait qu'une seule règle du jeu, et tout le monde jouait selon cette règle. Quelqu'un est debout sur une tribune, il ment, tout le monde applaudit, mais tout le monde sait qu'il ment, et lui, il sait qu'on le sait. Mais il débite ses mensonges, et il est tout content qu'on l'applaudisse. » (p. 186)

« … À l'école, on nous disait : "Lisez Bounine, Tolstoï, ces livres nous sauvent." À qui peut-on demander : "Pourquoi rien de tout cela ne se transmet, alors qu'une poignée de porte dans l'anus et un sac en plastique sur la tête, ça, ça se transmet ?" » (p. 539)

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