Exergue : « "la religion est l'opium du peuple." Karl Marx. "et je vous conterai tout ce qu'il a fait pour mon âme." Psaume 65. »
Ce livre contient le journal – entre mi-1952 et fin 1956 – des péripéties de la quête spirituelle de Banine qui l'ont conduite à la conversion au catholicisme. « Affranchie » de son héritage musulman par la Révolution, « païenne et athée » dans sa vie parisienne, elle se questionne d'emblée sur les raisons de cette « chose » en émettant les hypothèses que sa cause réside soit dans son passage à « l'âge critique » soit dans les séquelles d'une déception amoureuse, osant à peine envisager la grâce. Et de fait, pendant au moins la moitié du livre, nous lisons une très précise et assez angoissante description d'un état dépressif aigu où la déficience amoureuse se sublime en quête d'amour métaphysique – appelé absolu, ensuite dans le constat douloureux que le soulagement de sa peine ne s'accompagne pas d'une amélioration éthique de sa personne, pourtant ardemment souhaitée. L'existence même de dieu est constamment mise en doute par l'auteure – ne serait-ce que par précaution de langage – et les dogmes chrétiens lui paraissent systématiquement irrationnels et anti-naturels. Mais la prière lui est bénéfique, la lecture de témoignages de la foi aussi. Quelques rencontres semblent déterminantes.
En effet, à mesure que la quête sort de la sphère privée, Banine fait état de ses rencontres avec des religieux, pour quémander un baptême longtemps procrastiné. De là le récit devient celui de sa dialectique intérieure entre scepticisme et envie de croire, en parallèle avec l'alternance entre espérance et déception quant à la perspective de son admission au sein de l’Église. En conclusion, cet ouvrage rapporte le témoignage d'une conversion qui s'opère contre la nature et la personnalité d'une femme, contre sa raison - « Je dois en somme par raison renoncer avec ma raison à la raison » (p. 201) - par le seul effet de sa volonté qui, dans le fond, répond à un élan de vie et de choix de guérison.
La lucidité de l'auteure, son intelligence pénétrante ne font pas défaut dans ce troisième volet de son autobiographie : elles vont parfois jusqu'au cynisme et à une certaine détestation de soi parents du nihilisme ; ensuite, jusque dans le dernières pages, la conversion ne rend jamais sa prose sirupeuse, éventuellement pudibonde contre « l'érotomanie » de son environnement ; je regrette tout de même que l'ironie que j'avais tant appréciée dans les ouvrages précédents l'ait (provisoirement, ou définitivement?) abandonnée. Et en parlant d'abandon(s), il est plutôt consternant aussi qu'il n'y ait dans tout le récit qu'une seule référence à l'islam, ne serait-ce que comme rattachement à un héritage ou à une identité, que je m'empresse de retranscrire en citation.
Cit. :
« Je m'agenouille sur un prie-Dieu qui est là à la disposition d'autres assoiffés. Je prie. Personne ne me demande ni papiers d'identité ni argent. Je profite de cette institution qu'est l’Église sans y adhérer, sans rien donner en échange du bien que j'y recueille. […] je ne dois rien payer. Ce détail à lui seul constitue à proprement parler un miracle dans notre civilisation où l'on n'a rien pour rien, et à lui seul il devrait me convaincre de l'origine divine de l’Église Qu'importe que les dogmes paraissent absurdes puisque les effets de la foi sont merveilleux. » (p. 94)
« Cette intelligence, la mienne en tout cas, quelle duperie : juste bonne à devenir la source d'un tourment à peu près incessant, mais insuffisante à construire un équilibre intérieur. » (p. 109)
« Ainsi, quand il me donne comme argument de la divinité du Christ le fait que je l'adore, je lui réponds :
- Si j'étais restée dans un milieu musulman, mon besoin de transcendance se serait satisfait dans Allah et Mahomet, son Prophète.
- Vous savez bien la différence qui sépare ces deux figures : le Christ et Mahomet.
- Je le sais à présent. Mais restée là-bas, je n'en aurais rien su et Mahomet m'aurait satisfaite tout autant que le Christ, si même de manière différente.
Ch-A. Julien à qui je rapporte ce dialogue me dit : "Ça devait être dur pour le Père de s'entendre dire de telles vérités." » (p. 191-192)
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