Cinquième ouvrage et second roman de l'auteure italienne d'origines somaliennes Igiaba Scego, Adua représente ici le nom de l'héroïne davantage que le lieu d'une bataille coloniale (défaite italienne en Abyssinie, en 1896). Ce roman se compose de trois récits qui s'alternent avec une scansion parfaitement régulière : celui – narré à la première personne – de la protagoniste, femme âgée d'environ cinquante ans, installée à Rome depuis 1976 et considérant l'éventualité de rentrer dans sa Somalie natale quittée à l'adolescence et pacifiée depuis 2013, laquelle adresse une confession-lamentation sur sa vie à la statue du Bernin de l'éléphant qui porte l'obélisque le plus petit du monde ; celui – à la troisième personne – de Zoppe, son père, qui, dans les années 1934-35, subit la violence féroce des Italiens colonisateurs et pourtant ne se soustrait pas à sa collaboration avec eux en tant qu'interprète ; celui enfin – à la deuxième personne – dans lequel Zoppe invective sans cesse sa fille, en faisant preuve d'une haine invincible à son égard ainsi qu'à celui de la mère d'Adua, Asha la Téméraire, décédée en la mettant au monde.
D'après ces trois voix, l'on peut recomposer une histoire transgénérationnelle faite de la répétition d'humiliations et violences racistes, d'illusions, d'erreurs et de remords. Elle a pour balises une chronologie en trois temps : le milieu des années 30, à la veille de la guerre fasciste d’Éthiopie mais là où le colonialisme italien est déjà très cruel, le milieu des années 70, où le régime de Siad Barre prend une tournure autoritaire qui provoque des vagues d'arrestations et une considérable diaspora somalienne, et enfin la période contemporaine, où les flux de la Grande Migration commencent à engendrer en Italie une dialectique nouvelle et ambivalente (mais plutôt conflictuelle) entre les nouveaux naufragés échus à Lampedusa (les « Titanics ») et les plus anciens réfugiés/migrants (les « Vecchie Lire » en référence à la devise qui avait cours en Italie avant l'introduction de l'Euro).
Spécifiquement, nous apprenons d'Adua : sa tristesse d'orpheline et de migrante sédentarisée de force dans son pays pendant son enfance et son adolescence ; les chimères qui la poussent à quitter celui-ci (et sa famille) pour se retrouver à Rome dans les plus profonds abîmes d'une carrière ratée d'actrice de cinéma ; les frustrations d'un mariage tardif et éphémère avec un très jeune « Titanic ». De Zoppe nous apprenons : la brutalité du colonialisme italien, en passant par l'inhumanité du bagne de Regina Coeli ; la rupture d'une chaîne généalogique de devins et magiciens, malgré la persistance d'un certain don télépathique et visionnaire hérité – les « visions » de Zoppe produisent de très belles pages d'un intense lyrisme ; l'irrémédiable sentiment de culpabilité à l'égard du peuple trahi et de ses manquements comme époux et surtout comme père.
Il faut noter néanmoins que ce roman fonctionne par des coups de projecteur sur des instants relativement brefs et des circonstances biographiques spécifiques : les non-dits sont nombreux et toute tentative de dresser un bilan de la vie de l'un comme de l'autre personnage n'est que lecture en filigrane, ou spéculation du lecteur. Les considérations historiques que j'ai esquissées sont également des déductions de mon cru. Ce choix narratif plutôt original peut charmer certains mais peut tout aussi bien provoquer des frustrations chez d'autres lecteurs.
Cit. :
« Ho visto il tuo film.
Ho pianto.
Io non ho mai pianto. Ma vedendo il tuo film ho pianto. Ho fallito in questa vita. Se ti ho permesso la mia stessa umiliazione significa solo che ho fallito. Io non so trattare il prossimo, Adua. » (p. 158)
« Il babbuino si sedette su due zampe, la testa rivolta verso est a salutare il sole. Sollevò le zampette libere mostrando un oggetto a forma di luna, lo stringeva nella zampetta destra e lo esibiva come un trofeo.
[…]
"[…] Non sai cosa ho visto ieri sera. Ero sveglio e non sognavo. Se avessi visto quello che ho visto io daresti fine al tuo riso e piangeresti con me."
E Zoppe cominciò a vomitare parole e visioni.
"Intorno a me ieri notte c'era solo morte. Ho visto corpi neri maciullati. Impiccati, case incendiate, mani tagliate, teste decapitate infilzate sulle lance, donne pugnalate, cadaveri oltraggiati, ragazzini legati e trascinati ancora vivi, diaconi fucilati, bambine stuprate. Ho visto sangue, pus, materia cerebrale. E ho visto teste staccate dai loro corpi, poggiate su vassoi d'argento attorniate da gente che rideva. Le teste erano etiopi e le fauci sorridenti erano degli italiani. […]"
[…]
Il babbuino scosse la testa.
"Ma... ma... tu capisci, allora ?"
Zoppe guardò la mezzaluna che l'animale teneva tra le zampette. Fu allora che capì. Quel babbuino non era altro che suo padre, Hagi Safar. Il vecchio aveva rispettato l'appuntamento. » (pp. 150-152)
« Ieri ho incontrato sul tram una ragazza. Era nera, rasata e con le cosce grosse. Eravamo sul 14, allo svincolo per Porta Maggiore. Mi fissava fin dalla stazione Termini. Ero infastidita dal suo sguardo puntuto. Avrei voluto voltarmi e dirle "Basta". Mischiare la lingua madre all'italiano di Dante e fare una di quelle belle scenate che vivacizzano il viaggiare sui mezzi pubblici di Roma. Avrei voluto essere volgare e debordante. Mi andava una bella scenata, così non avrei più pensato a Lul, a Laabo dhegah, alla strana pace somala. Ma poi la ragazza è stata furba. Mi si è avvicinata lentamente e senza quasi preavviso mi ha sparato la sua domanda : "Sei Adua, vero ? L'attrice ? Io l'ho visto il tuo film". E poi dopo una pausa di quelle studiate ha aggiunto : "Lo sai che fai impressione ?".
Ero sgomenta.
Il mio film ? C'era davvero qualcuno che si ricordava ancora di quel film ? » (p. 12)
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