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[Duce & Ducetti | Giuseppe Vettori (dir.)]
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Posté: Jeu 29 Juin 2017 15:42
MessageSujet du message: [Duce & Ducetti | Giuseppe Vettori (dir.)]
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Le fascisme par la lettre.
Cet ouvrage n'est pas un essai sur le fascisme ; il se compose quasi uniquement de citations, très courtes et hors contexte pour la plupart, destinées donc à un public qui n'est pas là pour apprendre ce qu'a été (ou est ?) ce régime et l'idéologie sous-jacente, mais pour vérifier ses connaissances préalables, ses raisonnements, ses résonances au vu de textes très divers. À partir de ces fragments, au fil des pages, mes sentiments ont été multiples, et peut-être plus variés que ceux que le rédacteur du livre n'avait l'intention de transmettre, d'après la postface. Ils se déclinent conformément à la structure de l'ouvrage :
Première partie : « Il camerata n. 1 », dont les 10 premiers ch. comportent de très courtes phrases de Mussolini lui-même. Ici l'enjeu est surtout de mettre en évidence le ridicule de l'orateur, de souligner « l'humour involontaire » qui sourd de la rhétorique de carton-pâte de ce « vendeur à la criée ». L'on peut facilement rire du tribun qui pontifie :
« L'homme – disait le philosophe grec Anaxagore (excusez mon érudition) – est la mesure de toutes choses » (juin 1943) [alors que c'était Protagoras!], en se régalant surtout du « excusez mon érudition » ; ou bien de « l'Harmonie, c'est l'harmonie, la cacophonie... c'est autre chose », ou encore de la juxtaposition entre : « La géographie, ce n'est pas une opinion » (septembre 1938) et « L'Italie est une île qui émerge de la Méditerranée » (1er novembre 1936 avec une récidive en janvier 1939)... On peut même rire gras, avec : « Les Anglais : un peuple qui pense avec son cul » (septembre 1937), « Ce qui fermente dans le bas-ventre obèse des démocraties » (décembre 1937), ou « Si Hitler avec eu entre les pattes une tête de bite de roi, il n'aurait jamais pu prendre l'Autriche et la Tchécoslovaquie » (mars 1939).
Mais ce qui m'a frappé le plus, dans cette partie, c'est la désinvolture du personnage à user de la contradiction, sur tous les sujets, de l'économie à la politique internationale, même à des dates très rapprochées. Il est étonnant, en particulier, en lisant les cit. confidentielles contenues dans les Mémoires de Ciano, de découvrir le souverain mépris du Duce pour la « race italienne », qu'il se proposa « d'améliorer » en reboisant les Apennins pour rendre le climat de l'Italie plus rude et neigeux, et qu'il voulait sciemment la montrer affamée lors des négociations du futur traité de paix – qui serait favorable à l'Axe, naturellement... Du coup, cela fait moins rire, surtout lorsqu'on sait (ou qu'on apprend, dans la postface, p. 246) que, grâce à toutes les réformes économiques et fiscales à rythme accéléré qui ont caractérisé les premières années du gouvernement fasciste, alors que la production industrielle augmenta de 60% (entre 1921 et 1929, plus que dans l'ensemble de l'Europe occidentale), les salaires réels diminuèrent de plus de 23%...
On recommence à rire du grotesque des « Documents et Circulaires du régime », signés majoritairement Achille Starace, où il est question de quelle est la bonne hauteur du bras dans le salut romain, la bonne distance à garder [sans doute pour ne pas le recevoir sur la tronche en tant qu'interlocuteur...], ou des formules de salutation épistolaires les plus « fascistissimes »... mais là encore, le rire se teinte de jaune lorsque « Les murs parlent » pour dire : « Me ne frego ! » ou « Mussolini ha sempre ragione » [Mussolini a toujours raison], et encore plus quand on lit les cit. tirées des livres d'écoles ou certains sujets de rédaction imposés aux écoliers et lycéens, en somme là où les paroles de « Giovinezza, giovinezza, primavera di bellezza » ont des accents décidément sinistres.
Seconde partie : « Les Professeurs ». Sans aucun doute les pages les plus déprimantes, avilissantes, désespérantes, car, surtout dans le chapitre consacré aux intellectuels, l'on peut mesurer à quel point, malgré tout, le consensus fasciste était presque unanime, et pendant si longtemps, parmi les « élites de l'esprit » : seuls quatorze professeurs d'université dans tout le pays et toutes facultés confondues refusèrent de juger fidélité au régime en 1936 ; pire : combien furent les soutiens insoupçonnables, même parmi ceux qui abjurèrent ensuite promptement et se refirent une virginité antifasciste : Benedetto Croce, Luigi Pirandello, Vitaliano Brancati, Ernesto Bonaiuti, Guido Piovene, Malaparte naturellement, mais aussi Giuseppe Ungaretti... Que les intellectuels sont inaptes à penser le politique ! Et bien sûr les politiques « transformistes » : le plus célèbre étant évidemment Amintore Fanfani, mais que dire d'Alcide De Gasperi, de Giovanni Spadolini et du plus drôle, Ludovico D'Aragona, à la tête du syndicat CGL avant le fascisme, puis syndicaliste fasciste, puis de nouveau député social-démocrate dans l'après-guerre, et trois fois ministre de De Gasperi ! Sous le titre « Heri dicebamus », nous lisons les dithyrambes des politiques, militaires, magistrats, ecclésiastiques (y compris le Souverain pontife), du Roi, du haut patronat (Pirelli, Agnelli, Olivetti, etc.). Entre-temps, nous aurons pu admirer une vingtaine de pages de photographies, véritable série de déguisements dont le Duce était très friand : Mussolini en « squadrista à chapon melon », en haut-de forme dans le calèche royal, en pose équestre devant l'Arc d'Auguste, en caporal de la milice, avec le pansement factice sur le nez suite à l'attentat manqué de Bologne le 31 octobre 1926, en nageur, motocycliste, maître d'escrime, coureur automobile, skieur, cavalier, grand officier des gardes, en maillot de bain, en mineur, « en scrutant au loin » derrière un télescope, en statue impériale romaine nue...
Troisième partie : « Les Documents fondamentaux du régime fasciste » : des textes relativement longs, reproduits sans commentaire – Le « Programme fasciste de la Place Sansepolcro » (1919), qui contenait encore des mesure « travaillistes », dont la plupart furent simplement ignorées ; la « Charte du Travail » (1927) dont on retiendra, à titre d'actualité, que le pilier de l'économie corporatiste était... la négociation des contrats de travail en entreprise (tiens, tiens...) ; le Traité entre le Saint-Siège et l'Italie suivi du Concordat (1929) ; le « Pacte d'acier » (1939) ; les trois « Ordres du jour » présentés à la séance du Grand Conseil du Fascisme en 1943 – pour la destitution de Mussolini comme chef des Armées ; le « Manifeste de Vérone » (1943) instituant la République Sociale Italienne – l'état quisling connu comme République de Salò.
Deux appendices : une « Petite anthologie de la chanson fasciste », et une très utile, « Chronologie des événements de l'époque fasciste ».
À noter enfin la postface qui, rapidement, rappelle les trois positions fondamentales des historiens italiens quant au succès du fascisme : le fascisme conçu comme « parenthèse » - l'interprétation de Croce ; le fascisme comme résultat fortuit de motifs contingents divers – interprétation de Nino Valeri ; le fascisme comme instrument du grand capital – thèse d'Antonio Gramsci reprise, avec quelques nuances, par Lelio Basso et Renzo De Felice.

Cit. :

« Le Fascisme […] se fait toujours plus fort, plus capable d'attirer et d'absorber, plus efficace et mieux agencé dans la mécanique des esprits, des idées, des intérêts et des institutions ; en somme dans l'organisme vivant du peuple italien. Dès lors, il n'est plus opportun de compter ni de mesurer les hommes un par un, mais de considérer et de jauger l'idée qui, comme toute idée vraie, c'est-à-dire vivante, dotée d'une puissance propre, n'est pas faite par les hommes mais pour les hommes. » (Manifeste des intellectuels fascistes, rédigé par Giovanni Gentile, mars-avril 1925 – cit. p. 169, ma trad.)

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