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[La France au Front | Perrineau Pascal]
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le_regent



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Posté: Mer 04 Juin 2014 13:15
MessageSujet du message: [La France au Front | Perrineau Pascal]
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La France au Front. Essai sur l'avenir du Front national / Perrineau Pascal. – Paris : Librairie Arthème Fayard, 2014. – 230 p. – ISBN 978-2-213-68103-0

Pendant la dernière guerre, la profession de mon père lui donnait accès à des informations précieuses pour les Anglais. Ma mère est la fille des paysans qui l'ont accueilli lorsqu'il a dû se cacher, après la chute de l'un des réseaux grâce auxquels ses renseignements étaient transmis aux Anglais. On ne sera donc pas surpris du fait que, dans mes années d'enfance et de jeunesse, l'extrême droite ait été pour moi plus un objet d'exécration qu'un objet d'étude. Mais le temps a passé et je suis maintenant capable, comme Pascal Perrineau, d'examiner le Front national du point de vue de Micromégas. Je connaissais Pascal Perrineau de nom, avant même qu'on ne le voie fréquenter les plateaux de télévision, car ma fille aînée l'a eu comme professeur. Elle l'avait en grande estime.

Au moment de rédiger cette note, je n'ai plus le livre sous les yeux, contrairement à mon habitude, qui m'amène parfois à le relire presque entièrement au fur et à mesure de ma rédaction. J'ai quand même noté quelques phrases, et en particulier dans l'introduction : « Le temps est venu de tenter de comprendre d'où vient le Front national, comment il est sorti de la marginalité pour s'enkyster dans la société française et apparaître aujourd'hui comme l'une des principales forces politiques du pays. »
Le premier chapitre parcourt les quarante ans d'histoire politique et électorale du Front national.
Dans un deuxième chapitre, sous le titre « Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre », il s'attache à montrer en quoi le Front national a évolué et quelles permanences on peut y repérer, .
Le chapitre suivant, particulièrement développé, montre que le Front national recueille les fruits de cinq fractures :
-la fracture économique, qui le fait progresser chez les « perdants de la mondialisation », définis comme ceux dont le foyer n'a pas plus de 2 000 € de ressources mensuelles, qui ont un diplôme inférieur au baccalauréat, et qui estiment courir le risque du chômage ;
-la fracture culturelle qui voit se développer une demande d'autorité et un rejet du libéralisme en matière de mœurs dans une partie de la population assez semblable à la précédente ;
-la fracture territoriale qui se creuse entre d'une part un maillage de métropoles régionales dynamiques, certaines zones rurales qui le sont aussi et d'autre part des territoires en difficulté comprenant des villes petites et moyennes et un grand péri-urbain (quarante à cinquante kilomètres des métropoles régionales) ;
-une fracture politique, enfin, avec une déception croissante envers la politique et le personnel politique, qui ne produit pas uniquement une dépolitisation mais nourrit aussi un vote de protestation, ou, selon une autre expression de Pascal Perrineau, de ressentiment (personnellement, je dirais même d'exaspération).
Je ne suis pas sûr que cette division en cinq corresponde à de profondes différences intrinsèques, et j'y vois plutôt un mode de rédaction destiné à ramener à un empan plus modeste ce qui aurait pu devenir un bloc massif indigeste. Je relèverai deux phrases qui me paraissent particulièrement pertinentes : « Les forces politiques trouvent leur ancrage dans les clivages qui traversent les sociétés. » et « Avec le délitement des liens sociaux, le sentiment d'insécurité et l'anomie ont progressé, faisant naître une demande d'appartenance, de communauté et d'identité à laquelle l'extrême-droite et les populismes s'efforcent davantage de répondre que les autres courants politiques. » Sur ce dernier point, il m'apparaît que c'est un phénomène symétrique (c'est à dessin que je ne dis pas identique) qui pousse certaines populations vers un islam « ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre » que celui de leurs ancêtres. Mais je conçois que cela puisse être littéralement impensable pour certains, exactement comme Pascal Perrineau juge impensable pour certains l'éventualité de points de convergence entre l'extrême-droite et l'extrême-gauche.
Un dernier chapitre, enfin, examine plusieurs éventualités quant à l'avenir du Front national.
-le statu quo, d'abord, où le Front national resterait une force politique conséquente, mais sans pouvoir troubler profondément la bipolarisation traditionnelle ;
-la brèche à gauche (en fait, cette partie du livre m'a paru plutôt consacrée à l'examen de la percée du Front national dans des catégories de la population qui votaient habituellement à gauche ou à l'extrême-gauche ; je vois mal comment le Front national pourrait s'adapter à être le porte-parole d'un électorat de gauche et d'extrême-gauche) ;
-la brèche à droite (on voit bien la tentation chez certains hommes politiques de se servir du Front national comme force d'appoint, mais Pascal Perrineau souligne combien une certaine droite traditionnelle reste profondément hostile aux thèses du Front) ;
-l'extension idéologique généralisée, Pascal Perrineau mettant en correspondance certains éléments de la situation actuelle et de la situation de l'Entre-deux-guerres (pardon si mon option typographique n'est pas la vôtre) en Allemagne.
A l'aune des quelques ouvrages que j'ai lus, comme « Le choc du futur » d'Alvin Tofler ou un ouvrage de Jean-Jacques Servan-Schreiber dont j'ai oublié le titre, je dirais que la prospective est à peu près aussi pertinente que la lecture des lignes de la main mais je ne crois pas que Pascal Perrineau tente vraiment de faire de la prospective. Il me semble plutôt que la question de l'avenir du Front national lui est utile pour présenter certaines de ses observations.
Les assertions de Pascal Perrineau ne sont pas faites « en l'air », mais s'appuient sur l'analyse précise de résultats électoraux comme sur celle des résultats de diverses enquêtes d'opinion. Pour moi, un livre intelligent et utile pour suivre les évolutions politiques en France (évolutions qui me paraissent dans une certaine mesure comparables avec celles de certains autres pays européens).

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apo



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Posté: Jeu 05 Juin 2014 10:49
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Bonjour Le Régent,
Certaines de mes lectures (ex. Tissot-Tévanian...) ainsi que mes propres observations très empiriques me portent à croire qu'il est idéologique et dangereux de continuer à considérer le FN uniquement ou prioritairement comme un mouvement de ressentiment-exaspération et son corps électoral comme principalement populaire et défavorisé. Perrineau se penche-t-il quantitativement sur l'ensemble des profils socio-économiques des électeurs et sympathisants de ce parti ?

Je ne suis pas choqué et je me verrais même substantiellement d'accord avec toi dans l'idée d'une symétrie qui pousse certains individus de confession musulmane à rechercher une appartenance conforme à une certaine vision d'identité collective se reflétant dans l'organisation politique et sociale de la vie et portant donc le nom d'islamisme. Je ne parlerais pas de population ni de communauté (ni bien sûr de la religion...)
Quant à la convergence entre l'extrême-gauche et l'extrême-droite, ou ce qu'elles ont été dans les décennies passées surtout dans leurs différentes manifestations extra- et anti-parlementaires, à part les éléments observables d'identité de discours, elle est avérée et peut être prouvée en particulier par l'analyse de certains parcours personnels ; certains parmi ceux-ci renforcent aussi l'affirmation précédente (ex. ex-militants de mouvements terroristes d'inspiration marxiste des années 70-80 devenus djihadistes, il y a eu aussi des ex-néo-nazis aux côtés des talibans en Afghanistan, mais ça, c'est à mon sens moins étonnant...).

En relation avec le dernier chapitre du livre en question, je ne comprends pas si Perrineau privilégie un scénario en particulier (si oui, lequel ?) et si c'est son choix qui te paraît contestable (et pourquoi ?) ou bien si tes réserves ont trait à des raisons méthodologiques.

Dans ce dernier cas, je suis d'accord avec toi sur l'opportunité de la démarche comparatiste à l'échelle européenne. Vers la moitié des années 90, il y avait à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble un pôle de recherches en sociologie des comportements électoraux qui avait commencé ce travail justement sur les partis d'extrême-droite (qui voguaient alors autour des 5% des suffrages...). De temps en temps apparaissent des bouquins de vulgarisation sur les influences du berlusconisme sur tel ou tel autre politique se servant des leviers et ficelles populistes de façon plus ostentatoire que ses collègues...
Mais je parle d'une époque où il y avait encore de l'argent pour ce genre d'études (qui sont très onéreuses si menées sérieusement)...
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le_regent



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Posté: Jeu 05 Juin 2014 17:06
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Bonjour Apo
Tout à fait d'accord avec toi sur le fait qu'il serait inexact et dangereux de considérer le F.N. comme un simple parti protestataire, même si Le Pen père a fait ses classes auprès de Poujade. En matière de politique, la plupart des gens a (pardon pour l'archaïsme de cet accord) la mémoire courte ; par chance, moi moins que d'autres, et je me souviens très bien avoir entendu Le Pen père baver sur « la démocrassouille » (il avait déjà du goût pour les jeux de mots vaseux) pendant mes années de jeunesse. D'autres livres que celui de Perrineau décrivent bien mieux ce qu'est le F.N. en tant que parti (militants et élus).
Je sais combien il faut être prudent pour manier les statistiques. Je viens d'acheter en brocante un livre sur les manipulations mentales que je n'ai pas encore lu, mais j'ai vu en le feuilletant qu'à une même question numéro 2, on peut avoir des résultats significativement différents en fonction du choix de la question 1 que l'on va placer avant. Dans ce cas, d'ailleurs, il n'y a même pas forcément mauvaise foi, ce peut être un simple biais cognitif (j'ai lu récemment un texte, mais sur Internet et sans l'avoir cherché, à propos des principaux biais cognitifs).
En ce qui concerne Perrineau, je ne le crois ni de mauvaise foi, ni dans l'erreur, quand il indique qu'un peu plus de la moitié des personnes relevant de la catégorie socio-professionnelle « ouvriers » ont voté pour Marine Le Pen au premier tour de la dernière présidentielle, un certain nombre d'entre eux revenant à gauche pour voter Hollande au deuxième tour. La même tendance, quoiqu'un peu moins marquée, se retrouvant dans la c.s.p. « employés ». A nous de nous débrouiller pour intégrer ce fait dérangeant dans notre représentation du monde. Perrineau rappelle un texte de Marchais demandant au gouvernement d'alors d'arrêter l'immigration et note que les ouvriers réels et les intellectuels communistes n'étaient pas toujours exactement sur la même longueur d'onde.
Quant à la dernière partie du livre, Perrineau ne se hasarde pas à faire un pronostic (de toute façon, en matière de pronostics, je fais plus confiance aux météorologues qu'aux analystes politiques). Je trouve seulement très artificielle la structure
statu quo
brèche à gauche brèche à droite
extension idéologique généralisée
qu'il nous propose. (Zut, je me rends compte que ma présentation ne se conserve pas ; il y a probablement un code à utiliser.) En même temps, je reste conscient qu'à partir du même « matériel », j'aurais très probablement fait moins bien que lui.
J'ai noté que mon usage du mot « population » te gênait. Je l'ai adopté voilà quelques années déjà parce que celui de « communauté » me déplaisait. J'ai emprunté ce terme au domaine de la biologie (je suis aussi un amateur de sciences, bien que ma bibliothèque de l'Agora ne le montre guère). La biologie connaît les espèces, et les espèces ne sont représentées que par des individus ; le terme de « population » permet de désigner un certain nombre d'individus lorsqu'ils ont quelque chose en commun. Par exemple, une espèce d'oiseaux peut comporter des populations ayant un chant différent. C'est le terme qui m'a paru le plus neutre. Mais il est vrai que s'agissant de sujets « chauds », il vaudrait peut-être mieux être plus « lourd » linguistiquement mais préciser « un certain nombre d'individus ». J'essaierai d'y penser.
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Posté: Jeu 05 Juin 2014 17:49
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... ah! donc Perrineau ne se mouille pas sur les pronostics... Dommage ! Je vais alors le faire (un peu) à sa place, et tu me diras si tu es d'accord - si tu veux.
Dans la ligne de "la lepénisation des esprits", et sans oublier l'inestimable ouvrage de Victor Klemperer, ce qui me paraît tout aussi inquiétant que les résultats des urnes, c'est que le FN, par la propagation d'en-haut de son discours - à laquelle tant de voix diverses contribuent de toutes parts, plus encore qu'à l'époque de l'intervention malheureuse de Marchais... - parvienne à dicter l'analyse et presque, bientôt, l'agenda politique tout entier, au moins au sens des futures alliances entre partis. Cf. dans l'actualité, le débat sur les réformes pénales de Mme Taubira, sur la nature desquelles on peut être d'accord ou non, naturellement, mais là n'est plus la question, hélas...
A bientôt, amicalement
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le_regent



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Posté: Ven 06 Juin 2014 21:54
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Bonsoir Apo,
Je n'arrive pas à me résoudre à faire des pronostics, moi non plus, sinon à très court terme ; par exemple je m'attendais à une progression du Front national aux élections européennes. Mais je ne me hasarderai pas à prévoir son score en 2017, tellement de choses pouvant se passer d'ici là.
Par contre j'ai des craintes. Crainte que le vote FN ne se banalise chez les ouvriers et employés. Crainte que cette familiarité électorale n'entraîne une contamination idéologique.
Et surtout je n'arrive pas à comprendre que personne dans le monde politique ne soit en mesure de proposer une autre perspective crédible que celle de l'acceptation (sinon du culte) d'une compétition économique sans frein, accompagnée d'un abandon de compétences toujours plus poussé de la puissance publique. Mais qui sait ? Demain, peut-être...
Cordialement.
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