Il est difficile de résister au charme de l’écriture et au parfum des mots, à l’érudition savamment diluée et à l’humour constant parsemant le dernier roman de Frédéric Pagès. « Du pur amour et du saut à l’élastique » débute par la fin c’est-à-dire que le prologue s’intitule « C’est la fin ». Max de Kool est précipité vers le vide, retenu par un élastique. Il se repasse les derniers moments de sa vie en accéléré afin de mettre ses idées en ordre avant la dispersion fatale et finale sur les galets de la rivière, tout en bas. Agrégatif en philosophie multi récidiviste et malheureux, Max n’a d’yeux et d’idée que pour le saint concours bien que son pote Ernest lui serine : « Mais c’est sans espoir en philo : chaque année, il y a de moins en moins de postes ! Et tout ça pour corriger toute ta vie des copies de lycéens ! ». Contre toute attente, Max a séduit Blandina, un mannequin richissime d’une grande beauté lors d’un vernissage d’art contemporain dont il parasite allégrement le buffet et le cocktail. Blandina résume son coup de foudre ainsi : « Hier soir, j’avais beaucoup d’hommes autour de moi… Et puis nos regards se sont croisés. Tu m’as regardée d’une façon froide comme si j’étais un portemanteau ou une pile d’assiettes. J’étais sidérée. » Bien que normalement masochiste, Blandina va essuyer une zidane, un coup de boule au thorax car Max n’est plus cool quand il entend Julio Iglesias. Il perd la tête et frappe violemment l’apprentie chanteuse roucoulante. On peut être mannequin jambes, courir le vaste monde et être popote à la maison. Du coup, Max perd son amoureuse et de sa situation un prince en sort con, sans le sou et sans domicile fixe. Qu’importe ! Il se le serine volontiers : « Qu’ai-je à faire d’un lit en forme de cœur ? Un moment d’inattention dans un cocktail, un verre de sangria en trop et je me suis incarcéré dans une prison dorée. » Max veut se poser quelque part pour se poser les bonnes questions. Il quitte Genève et atterrit en Haute-Savoie, dans une auberge esseulée, au col de la Dame Blanche. La patronne est censée revenir bientôt comme le panneau l’indique à l’entrée alors Max s’installe en attendant. Bintou, belle Africaine sans papier, arrive par télésiège, Aliénor en méditant et la ribambelle d’étudiants de l’école supérieure de la communication en voitures pétaradantes. Gertrude, la gendarmette du cru, ne pourra pas toujours contenir les forces vives des jeunes en goguette et des profs en débandade. Entre la fête et la teuf, il n’y a pas que les mots qui soient à l’envers : « La fête, c’est clean, la teuf, c’est crade. Défonce, alcool, ecstasy, cannabis, coke… ». Il faudra bien des coups de boule pour remettre tout ce braillard petit monde paillard d’aplomb.
Les situations sont improbables et leurs retournements encore plus. Les caractères des personnages sont inconsistants mais l’intérêt de la lecture tient au primesaut de l’écriture et au saut en prime à l’élastique d’une philosophie en caoutchouc. Les chapitres débutent par d’incertaines citations. Max de Kool a beau réfléchir, Sénèque en appui, il ne peut contrôler ses colères, ses désirs ou ses peurs. Même si le roman ne casse rien à un canard, il se lit d’une traite, sans ennui, le sourire aux lèvres.
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