Il existe une tradition dans la construction d’immeubles importants pour une collectivité : sceller à la base d’un pilier, d’un mur, un document relatant les événements politiques, sociaux, historiques vécus au sein d’une commune ou d’une région.
Le livre d’Annie Ernaux pourrait remplir la mission d’un tel document. Il instruirait les générations futures sur les histoires qu’ont vécues leurs ancêtres et sur l’évolution des idées et des manières d’agir au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
En effet, à travers la description de son environnement (écrite à l’imparfait) et sur la base de son histoire personnelle à l’aide de son album photos (écrite au présent), l’auteur nous incite à nous retourner sur le passé. Nous y trouvons des expériences que nous avons pu partager, d’autres qui nous semblent étrangères. Cette dualité rend le livre particulièrement attrayant pour les lecteurs du même âge que l’auteur.
«Les Années» est un livre-miroir. La fin de l’ouvrage nous renvoie en particulier à nos pratiques de l’informatique (Internet) et à l’usage du numérique. La critique d’Annie Ernaux est dure mais objective :
«Les archives et toutes les choses anciennes qu’on n’imaginait même pas retrouver un jour nous arrivaient sans délai. La mémoire était devenue inépuisable mais la profondeur du temps — dont l’odeur et le jaunissement du papier, le cornement des pages, le soulignement d’un paragraphe par une main inconnue donnaient la sensation — avait disparu. On était dans un présent infini.
On n’arrêtait pas de vouloir le “sauvegarder” en une frénésie de photos et de films visibles sur-le-champ. Des centaines d’images dispersées aux quatre coins des amitiés, dans un nouvel usage social, transférées et archivées dans des dossiers — qu’on ouvrait rarement — sur l’ordinateur. Ce qui comptait, c’était la prise, l’existence captée et doublée, enregistrée à mesure qu’on la vivait, des cerisiers en fleur, une chambre d’hôtel à Strasbourg, un bébé juste né. Lieux, rencontres, scènes, objets, c’était la conservation totale de la vie. Avec le numérique on épuisait la réalité.»
J’ai beaucoup apprécié «Les Années» même si j’ai pris du temps pour le parcourir. Son style (le choix de se distancier d’elle-même) et cette façon de rendre une histoire singulière comme objective m’ont surprise. En effet, j’ai dû faire appel à ma mémoire pour me réapproprier certains des événements relatés.
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