Est-ce ma propre identification tellement poussée avec le héros de ce roman qui me fait penser (comme à Amiread1) qu'il s'agit plus d'une autobiographie que d'un roman?
Les thèmes: l'apprentissage d'une langue supplémentaire après un bilinguisme très "évolué", d'une langue qui n'a pour l'apprenant aucun but communicatif, une langue "presque" choisie par hasard, pour la seule raison que "Ne pas avoir de raison d'apprendre une langue n'est pas une raison de ne pas l'apprendre" (p. 92)...
Et pourtant, cet apprentissage semble être principalement un moyen d'élaborer le deuil de son père. La répétition si fréquente de la phrase que le héros veut exorciser: "baba ti mbi a kui" ("mon père est mort") constitue la clef de ce récit, dont la profondeur n'apparaît que sous le voile d'une sublime légèreté de ses contenus et de son style. L'apprentissage, avec toutes les émotions que donnent les nouveaux mots, car "les mots étrangers ont du coeur" (p. 320), est une sublimation de la perte, peut-être aussi une compensation d'une enfance retrouvée par la possibilité de s'approprier par petites gorgées (tétées) l'instrument linguistique vierge, tout comme un enfant s'approprie sa première langue.
Et une autre raison du "presque" hasardeux: cette langue africaine, le sango, s'avère avoir un lien de famille avec celui qui l'apprend, un lien avec le père du père, celui qui a laissé une lettre en héritage, qui est en fait une impossibilité d'être lue, l'héritage d'un silence du père, face auquel le héros se retrouve à son tour...
Dans cette optique, le voyage du héros dans le pays du sango, la Centrafrique, est aussi un voyage à la recherche de ce côté-ci de son ascendance, une recherche des sources ainsi qu'une tentative de rendre "vivante" cette langue née d'un décès. C'est peut-être pour cela aussi que la Centrafrique lui rappelle si souvent la Grèce de son enfance: "Suis-je venu ici pour ressusciter mon passé? L'Afrique me le rappelle si souvent que j'ai par moments le sentiment déroutant qu'elle se souvient de moi" (p. 260).
Enfin il y a dans ce livre une ode au multilinguisme et à l'apprentissage des langues: "Les langues vous rendent l'intérêt que vous leur portez. Elles ne vous racontent des histoires que pour vous encourager à dire les vôtres. Comment aurais-je pu écrire en français si la langue ne m'avait pas accepté tel que je suis?" (p. 320), ce qui est la meilleure preuve que les langues font souvent davantage preuve de sens de l'hospitalité des migrants que les humains pour qui elles ne sont qu'un instrument de communication banalement spontané...
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