Je suis un peu moins séduite qu'il y a quelques années par les introspections d'Annie Ernaux ; je ne peux m'empêcher parfois de penser, au détour d'une liste extrêment particulière ou de la description minutieuse d'un lieu où elle vit, que, faute de tendre à l'universel, ses confessions n'intéressent finalement qu'elle. J'avais eu la même impression en lisant certains récits de Lampedusa.

Mais c'est vers la fin de cette autobiographie que certains de ses choix n'apparaissent plus digressifs et auto-complaisants, mais réellement "utiles" : "J'ai mis au jour les codes et les règles des cercles où j'étais enfermée. J'ai répertorié les langages qui me traversaient et constituaient ma perception de moi-même et du monde. Nulle part il n'y avait de place pour la scène du dimanche de juin." (page 108).

La fameuse scène ouvre le récit : un dimanche de juin 1952, son père, gourmandé et harcelé par sa mère, tente d'égorger cette dernière dans un accès de rage. Annie Ernaux va passer en revue le contexte temporel puis spatial qui a "encadré" cette honte, cet événement qui va soudain révéler que sa famille est étrangère à à l'ordre catholique bien pensant, si possible bourgeois, auxquels ses parents (anciens ouvriers) essaient de l'incorporer par le biais d'une institution religieuse.

"Nous avons cessé d'appartenir à la catégorie des gens corrects, qui ne boivent pas, ne se battent pas, s'habillent proprement pour aller en ville (...) je ne ressemblais plus aux autres filles de la classe. (...) Je savais ce que, dans l'innocence sociale de l'école privée, je n'aurais pas dû savoir et qui me situait de façon indicible dans le camp de ceux dont la violence, l'alcoolisme ou le dérangement mental alimentaient les récits conclus par "c'est tout de même malheureux de voir ça."

Et là, l'expérience d'un sentiment, justifié ou non, d'imposture, la peur, la solitude, si ça n'est pas universel...

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