J'ai fui le Tibet en 1959 et je n'oublierai jamais les jeunes Chinois en vareuse triste occupant Lhassa et torturant les nôtres. J'ai vu dans leur regard la violence, l'incompréhension, et les fusils dans leurs mains. Mon maître et moi nous avons fui des jours et des nuits dans les montagnes sacrées qui jusqu'alors nous protégeaient. Et nous avons vu s'éloigner à jamais notre pays tant aimé : le Tibet.
J'ai aujourd'hui 78 ans, et je vis en France depuis ces années lointaines. Je n'ai rien oublié. Il est vrai que j'ai toujours eu une grande mémoire des faits, des gestes, des mots, des détails. Et je veux dire aux jeunes générations, à tous ceux qu'intéresse le bouddhisme, ce que fut ce continent englouti, mon pays. Ce que je raconte dans ces pages, je l'ai vu de mes yeux ou je le sais de première main. Je n'omets rien : ni les monastères gigantesques, ni l'aristocratie tibétaine et ses coutumes, ni la ferveur de notre peuple, ni son ignorance du monde extérieur, ni le nomadisme, ni le servage, ni la polyandrie. Je dis les choses telles qu'elles étaient alors - magnifiques, différentes, libres. Et j'espère qu'ainsi, par ce témoignage, mon pays demeurera dans les combats et la mémoire des hommes. " Thoupten Phuntshog