Au détour d'une histoire de Mes Femmes, Crumb livre au lecteur sa vision du bonheur : une vieille maison de bois avec un porche à l'ancienne, où s'asseoir en famille pour gratter du banjo. Ni vin, ni drogue, ni danse, mais l'ambiance d'un tableau de Grant Wood et l'illusion du retour à l'Amérique agraire, frugale et modeste que rêvaient les pèlerins du Mayflower. La culpabilité de ce puritain convaincu de la bestialité du sexe s'exacerbe au contact du San Francisco des années 60 et le pousse à battre sa coulpe à tour de bras. Pour mieux nous persuader de sa dépravation, Crumb dresse le catalogue scrupuleux de ses perversions, mise en scène des fantaisies masturbatoires d'un gringalet blanc, qui assouvit sa misogynie et apaise ses frustrations en dominant juives callipyges et négresses stéatopyges. Comme il se doit, la confession précède l'absolution. Devenu pèlerin exemplaire, le dessinateur choisit la route de la rédemption qui passe par le travail et la famille. Et il ne reste plus à Robert Crumb, l'artiste fameux, l'époux aimant et le papa gâteau, qu'à rendre grâce de tant de bienfaits aux dieux qui lui ont épargné le destin de Don Juan, précipité dans les flammes de l'enfer, ou de Sante Kalzone, l'érotomane de La Cita Delle Donne, assiégé par les féministes en fureur. Aujourd'hui réfugié dans la paix et le confort de la cellule familiale, le dernier représentant du style gothique américain cultive la nostalgie du passé disparu, met en ordre sa collection de disques anciens et fantasme sur les cuisses de Venus Williams. Foyer, doux foyer. |