2084 La fin du monde / Sansal Boualem. – Paris : Editions Gallimard, 2015. – 273 p. – ISBN 978-2-07-014993-3
Malgré tout le battage médiatique fait autour de sa publication, je n'ai pas été tenté d'acheter "Soumission" de Michel Houellebecq. Mon pari personnel est que l'auteur, dont je n'ai encore rien lu, ne mérite ni les excès d'honneur, ni les excès d'indignité dont il est l'objet. Par contre, lorsque mon quotidien régional, présentant quelques ouvrages en vue de la rentrée littéraire, a signalé celui-ci, je suis allé le réclamer à mon libraire habituel seulement quatre jours après la date prévue pour sa sortie.
J'en attendais beaucoup, sans savoir quoi exactement, mais je me suis « calmé » dès les premières pages. Adolescent et jeune adulte, j'ai lu beaucoup de nouvelles ou de romans fantastiques ou d'anticipation. Je n'en ai plus lu depuis, à l'exception, un été, de quelques ouvrages de Barjavel. A l'épreuve du temps, ne subsistent que de vagues souvenirs des plus grands classiques, "Dracula", "Frankenstein", "Le désert des Tartares", Poe, Lovecraft, H. G. Wells … J'ai lu aussi "Le meilleur des mondes" et "1984", mais je n'en ai gardé aucun souvenir. Les uns et les autres sont probablement quelque part dans mon fatras, et même pour certains édités dans la langue de l'auteur, mais j'ai développé d'autres centres d'intérêt.
Un éditeur doit vendre, ce n'est pas intrinsèquement immoral, c'est ainsi que s'établit le lien entre le livre et le lecteur. Cela aidera probablement à vendre que de dire de l'auteur, comme le fait le texte de la quatrième de couverture, « … il s'inscrit dans la filiation d'Orwell pour brocarder les dérives et l'hypocrisie du radicalisme religieux qui menace les démocraties ». Mais le risque existe de ne pas mettre en relation le bon lecteur avec le bon livre. Si quelqu'un achète celui-ci en jubilant à l'idée que l'auteur va « flinguer » les divers groupes armés qui cultivent la violence en se réclamant de l'islam, il risque d'être déçu. Certains traits de la société imaginée par Boualem Sansal feront penser à des phénomènes observables dans le monde arabo-musulman, comme certains traits des sociétés imaginées par Huxley et Orwell renvoyaient à des particularités du régime stalinien ou du régime hitlérien, si j'en crois les articles de Wikipedia que j'ai consultés. Mais ces trois auteurs n'ont pas choisi de faire œuvre documentaire, et dès les premières pages du livre de Boualem Sansal, j'ai bien retrouvé l'ambiance des lectures d'anticipation de ma jeunesse.
Me voici maintenant au pied du mur : m'exprimer sur ce livre, sans gâter le plaisir de la découverte à qui sera tenté de le lire. C'est un unique personnage, Ati, que nous suivrons à travers les quatre « livres » et l'épilogue de ce récit. Comme celui d'Ati, tous les noms personnels humains comportent uniquement trois lettres : aux lecteurs très rapides, attention, donc, à ne pas confondre Ati avec Abi (le Délégué, le salut soit sur lui).
Ce qui va conduire Ati à suivre la trajectoire décrite au cours du récit, c'est d'abord la tuberculose, qui lui vaut de faire un séjour en sanatorium, dans la montagne de l'Ouâ, alors qu'en Abistan seuls les pélerins sont autorisés à circuler (mais non pas librement). Le sanatorium est d'ailleurs aussi, deux fois l'an, une halte pour des pélerins. Au cours de ce séjour, et au contact de malades et de pélerins venus des quatre coins de l'Abistan, Ati va prendre conscience que « l'homme qu'il était, le croyant fidèle, se mourait, il le comprenait bien, une autre vie naissait en lui ». Les amateurs de péripéties pourraient trouver le temps long au cours de la lecture de ce livre I, qui nous dévoile un certain nombre de caractéristiques de la vie en Abistan et qui est le plus riche en remarques à caractère philosophique ou anthropologique.
Le livre II nous fait connaître de nouveaux traits de la vie en Abistan à travers le retour d'Ati dans son quartier, dans la capitale. Pas de véritables péripéties non plus dans ce livre II où Ati se lie avec un collègue de travail qui partage avec lui une vive curiosité à l'égard de l'abilang, la langue de l'Abistan.
C'est seulement à partir du livre III, donc à partir de la page 119, que sera enclenché le mécanisme qui va engendrer des péripéties. Ati et son collègue et ami Koa, munis de faux papiers, vont entreprendre de faire une visite à Nas, rencontré par Ati au cours de son long voyage de retour du sanatorium mais dont ils ne savent qu'une chose : il travaille à l'Abigouv (le siège des ministères). Cela mènera Ati jusqu'au cœur du pouvoir de l'Abistan et à ses secrets les plus cachés, la fin du livre IV renouant avec les interrogations anthropologiques.
Si certains des Agoriens qui contribuent au forum Science-fiction / Fantasy (sur lequel je suis allé ces derniers jours pour la première fois) pouvaient être tentés par la lecture de ce livre, leur opinion m'intéressera beaucoup.
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