Constitué par les souvenirs d’enfance du petit Faraht (surnommé Fafa), ce roman nous emmène dans les années 60-70, au coeur du 6ème arrondissement de Paris, où les Bounoura représentent l'unique famille d’immigrés et d'extraction ouvrière, "perdue au milieu de la population de fonctionnaires, de petits cadres, de petits bourgeois et de gros bourgeois même" d’un bel immeuble HLM tout neuf.
Etre le fils -ou la fille- de Benamar et Nabila Bounoura (les parents de Faraht) n'est pas une sinécure : le père est extrêmement brutal, et la mère, perturbée, sombre dans la folie, infligeant à elle-même et à ses enfants des scènes d'une rare violence.
Chacun des quatre jeunes Bounoura endure à sa façon les coups et les humiliations. Nourredine s’accroche à ses rêves de théâtre, Karima s'implique à fond dans les études, et Nadia se réfugie dans le silence.
Quant à Fafa, il s'endurcit, commet ses premiers larcins pour s'octroyer les cadeaux que ses parents ne lui offrent pas, et tombe peu à peu dans une inéluctable délinquance.
Cette lecture m’a fait l’effet d’un coup de poing. Elle suscite également beaucoup d'émotion, qu'il s'agisse d'affliction face aux brimades et aux injustices subies par les enfants Bounoura, aussi bien au sein de leur foyer qu'à l’extérieur, où ils sont en butte à la discrimination raciale (la guerre d'Algérie n'est pas loin) et sociale, ou bien d'attendrissement devant l'amour qui lie les frères et soeurs, par exemple.
Toutefois, le ton du récit est empreint d'un tel humour, d'une telle énergie, que jamais il ne tombe dans le misérabilisme ou le pathos.
Certes, "Eboueur sur échafaud" est rédigé à la 3ème personne, mais c'est avec les yeux de Fafa que l'auteur analyse et commente le monde qui l'entoure, avec toute la candeur, la spontanéité et l'absence de concession que cela suppose.
Donc, on rit, aussi... Abdel-Hafed Benotman déploie une verve qui se fait tour à tour gouailleuse et littéraire, où se mêle accents populaires et métaphores poétiques.
On sait pourtant que tout cela va mal finir... quand les institutions hypocrites et moralisatrices (l'école, puis la justice) évitent de chercher des explications à la face tuméfiée de Fafa, préférant s'attarder sur les conséquences de ses actes pour ne pas devoir en traiter les causes, comment pourraient-elles le sauver ?
Ce ne sera certainement pas mon dernier rendez-vous avec Abdel-Hafed Benotman...
Rendez-vous au prochain épisode !