Sarah Waters est une iconoclaste.
S'emparant du roman historique, et plus précisément du roman victorien, elle le revisite et le dépoussière à sa sauce, c'est-à-dire avec une bonne dose de stupre et de crudité...
... sans pour autant sacrifier l'élégance de sa plume !
"Caresser le velours" est le premier roman de l'auteure galloise, mais on y trouve déjà certains de ses thèmes de prédilection, récurrents dans son oeuvre : l'amour lesbien, la condition féminine et ouvrière dans la société anglaise de la fin du XIXème siècle, la rencontre entre jeunes filles naïves et séduisantes manipulatrices...
Nancy mène une vie simple et paisible dans un petit port du Kent, où elle travaille dans le restaurant familial, en tant qu'écaillère. Sa passion pour le music-hall la mène régulièrement sur les bancs de la salle de spectacle locale, où elle s'enthousiasme pour des artistes à la gloire plus ou moins éphémère. C'est là que sa vie bascule, le jour où elle assiste au numéro de Kitty Butler, qui, travestie en dandy, enchante les foules par sa jolie voix et son allure gracieuse.
Osant aborder l'objet de sa fascination, elle devient rapidement son amie, et finit par la suivre à Londres. Elle y sera son habilleuse. Plus que de l'amitié, c'est un véritable amour, et un intense désir sexuel, qu'elle éprouve pour Kitty. Mais doutant de sa réciprocité, elle le tait... du moins dans un premier temps.
Dans la capitale anglaise, Nancy fait l'apprentissage de l'amour et de la trahison, du succès et de la déchéance, vit quasiment plusieurs existences, qui la mènent des bas-fonds les plus sordides aux milieux grand-bourgeois, et vice-versa... Elle y rencontre des aristocrates perverses, des prostituées misérables, des militantes des droits civiques... Elle découvre et apprend à accepter son homosexualité, avec une sincérité touchante.
Au fil d'une action ininterrompue, mais que l'auteur prend son temps à dérouler -ceci dit, on ne s'ennuie jamais-, nous visitons ainsi en la compagnie de Nancy le Londres de Dickens, à ceci près qu'on y pénètre plus avant dans certaines alcôves, dans le secret de lits où le plaisir transcende la rigidité d'une morale puritaine et hypocrite, dans le recoin de portes cochères où se pratiquent d'inavouables commerces des corps.
Bien que l'on n'y ressente pas l'ambiance lourde et gothique dont Sarah Waters dotera certains de ses romans suivants, plus denses et plus complexes, ce premier titre est malgré tout l'occasion d'une lecture plaisante et singulière, et pose les jalons de ce qui fera la marque de son auteure.
BOOK'ING