Guy Delisle a un talent certain pour nous raconter ses voyages. Cette fois, c’est à l’occasion d’un séjour professionnel en Corée du nord. Un stage assez particulier puisqu’il a été parqué dans un hôtel avec d’autres étrangers et qu’il a toujours été accompagné d’un traducteur. Difficile dans ces conditions de découvrir le pays mais on a quand même une bonne idée de l’ambiance pour le moins étrange qui règne dans ce pays isolé. On imagine avec peine le manque de liberté et le formatage constant des pensées de la population. L’auteur nous décrit souvent des situations qui frisent l’absurde et qui prêteraient à sourire si elles n’étaient pas aussi dramatiques. Avec ces petits dessins simples et clairs, Delisle nous livre un témoignage édifiant sur un pays privé de toute liberté et de tout contact avec le reste du monde.

Delisle a passé deux mois à Pyongyang à coordonner le travail des animateurs coréens et a transformé le compte rendu de cette même période dans « Pyongyang », un superbe reportage sous la forme de BD. En démontrant, s’il en ait encore besoin, que la bande dessinée est une technique expressive qui n’a rien à envier à la traditionnelle narration écrite ainsi qu’au documentaire filmé.
Grâce à un trait sobre, sans pour cela être minimaliste, Delisle réussit parfaitement à représenter les contradictions d'un pays fermé dans un isolationnisme autarcique digne du « Grand Frère » avec le culte inconditionnel de son leader, Kim Il-Sung, transféré par droit héréditaire à son fils Kim Jong-Il.
Dans une capitale déserte et privé de smog et d'électricité, il narre la manière dont les étrangers sont confinés dans des hôtels spécialement réservés pour eux où des guides omniprésents et des interprètes sont désignés par le régime pour les distraire dans leurs moments de repos, ils leur font admirer les statues du « Président éternel » ou visiter les musées remplis d’objets cadeaux venant des quatre coins du monde offert au leader et de pages de journaux étrangers couverts d'éloges et de reconnaissances à son égard (achetés à tarif publicitaire).
Mais Delisle a la présence d'esprit de chercher à aller au-delà de l'oléographie de régime et de montrer comment, en réalité, le peuple de la Corée du Nord est affamé par la pauvreté que même les aides internationales ne réussissent pas à enrayer, soumis à l'omniprésent martèlement de la propagande et terrorisé par le système ubuesque de la délation. Dans ce contexte oppressant et qui se présente mal, Delisle se défend avec des petits gestes de rébellion (employer une radio prohibée, échapper au contrôle du guide, tenter de faire écouter aux collègues coréens l' « Aphex Twin » à la place des petits airs de marche de régime, etc ...).
Des actes, par certains côtés entièrement inutiles, mais en même temps indispensables pour enrichir, au moins du point de vue psychologique, le séjour dans la ville controversée.