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Les notes de lectures recherchées

2 livres correspondent à cette oeuvre.

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Mots-clés associés à cette oeuvre : afghanistan, condition feminine, djihad, genre, guerre, invasion occidentale, taliban, violences contre les femmes

[Je suis une bacha posh | Ukmina Manoori]
Auteur    Message
le_regent



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 13 Oct 2011
Messages: 174
Localisation: sud du Cher

Posté: Sam 12 Juil 2014 20:21
MessageSujet du message: [Je suis une bacha posh | Ukmina Manoori]
Commentaires : 0 >>

Je suis une bacha posh / Ukmina Manoori, avec la collaboration de Stéphanie Lebrun. – Neuilly-sur-Seine : Editions Michel Lafon, 2013. – 204 p. – ISBN 978-2-7499-1877-8

J'ai lu d'une traite ce livre, au sujet duquel Apo a déjà publié une note de lecture il n'y a pas très longtemps. C'est le livre même à conseiller à celles et ceux qui auraient du mal à comprendre l'utilité d'adjoindre au concept de sexe biologique celui de genre social. Et pour les autres, c'est une mine d'interrogations.
Rappelons que ce livre est le récit de vie d'Ukmina Manoori (je continue à élider e devant U, tout en étant conscient que cet usage est en voie de disparition ; voir page 33 : « l'âge de un an ») née vers 1968 en Afghanistan, en zone pachtoune, près de la ville de Khost, c'est-à-dire non loin de la frontière du Pakistan.
« […] Quand je vis le jour, mon père sut tout de suite que j'allais vivre. Il attendit un mois, et […] il eut cette phrase qui changea le cours de ma vie : Tu seras un garçon, ma fille. Ma mère ne s'y opposa pas, elle aussi avait besoin d'un fils. Mon frère aîné avait déjà dix ans, il fallait à mes parents un autre garçon pour aider le foyer, sortir faire des courses, garder les bêtes, travailler la terre […] une femme ne peut paraître en public seule, ce qui restreint considérablement le champ de ses activités […] Dans notre province, décréter qu'une fille est un garçon n'a rien d'exceptionnel. Au village, nous sommes une quinzaine […]
Mais ce statut de garçons n'est que temporaire. « […] A l'âge de dix ans, tout change […] A cet âge, les autres filles se voilent. Celles qui ont comme moi vécu une enfance de garçon renoncent petit à petit à leur shalwar kameez [le vêtement masculin] et à la liberté qu'il confère. Elles abandonnent les prés et les jeux pour intégrer le cadre de toute leur vie désormais : les murs de leur maison. Elles apprennent la couture, s'occupent des petits et aident leur mère. Il leur reste quelques mois avant d'embrasser leur destin de femme : à douze ans, elles portent la burqa et ne sortent plus jamais de chez elles sans la présence d'un homme […] »
Et c'est là que la vie d'Ukmina prend un tour exceptionnel. « […] Pour moi, il n'y a aucun doute : je suis une fille et je le reste, je ne peux pas changer ma nature. Mais je veux vivre comme un homme [...] » Elle résistera donc aux pressions que le mollah du village et par contrecoup son père exerceront sur elle lorsqu'elle atteindra quinze ans. Peu après survient l'intervention de l'Armée rouge. La famille d'Ukmina se réfugie dans les montagnes frontalières du Pakistan. Ukmina voudra se joindre à un groupe de moujahiddin. Ils ne peuvent accepter une femme parmi eux, mais ils lui confient des missions de guetteur ou de messager, si bien qu'après le retrait de l'Armée rouge et le retour de la famille dans le village, Ukmina aura le statut respecté de moujahid.
Avec l'arrivée des taliban, Ukmina va se voir réduite à ne plus sortir. Pour elle, le début de l'intervention américaine sera marqué par le bombardement de Khost. En 2004 ont lieu des élections présidentielles et législatives. Après les élections, Ukmina se verra convoquer à Khost, au bureau du ministère des Femmes, pour se voir confier la mission de convaincre les femmes de son district de constituer une assemblée. En 2006 elle fera (avec son frère) le pélerinage à La Mecque et en reviendra définitivement convaincue que sa manière de vivre n'est pas un péché. En 2009 elle est élue au conseil de province de Khost. Elle est en charge des affaires féminines. Elle évoque quelques affaires qu'elle a eu à traiter, montrant combien leur règlement est difficile dans la mesure où il est impossible de s'affranchir du pachtounwali, le code d'honneur des tribus pachtounes. Elle rencontrera le président Karzaï, et la première femme parachutiste et général de l'armée afghane.
Ukmina a confiance. « […] Quand les troupes internationales seront parties, je ne pense pas que ce sera le chaos prédit. J'ai confiance en mon pays. Pour la première fois depuis des décennies, nous serons entre nous, sans envahisseurs ni guerriers de la paix. Les talibans rejoindront le gouvernement, et alors ? Ils ne pourront plus imposer leurs grotesques règles, les coups de fouet, les lapidations : ce n'est plus possible […]
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[Je suis une bacha posh | Ukmina Manoori - Stéphanie Lebrun]
Auteur    Message
apo



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 23 Aoû 2007
Messages: 1965
Localisation: Ile-de-France

Posté: Sam 17 Mai 2014 10:52
MessageSujet du message: [Je suis une bacha posh | Ukmina Manoori - Stéphanie Lebrun]
Commentaires : 4 >>

L'ami Le Régent m'avait fait remarquer, il y a quelques mois, l'utilité des travaux ethnologiques dans la question des théories (ou études) de genre. J'ai donc suivi son conseil et me suis projeté en Afghanistan, qui m'intéresse d'ailleurs pour plusieurs raisons, où l'on trouve la réponse définitive à la question de la pertinence du genre.

En effet, dans ce pays où les femmes ont vocation à la ségrégation domestique, le père de famille peut décréter, en cas d'absence d'héritier mâle donc de manque de main d'oeuvre infantile, qu'une de ses filles acquiert le genre masculin : "Tu seras un garçon, ma fille". Cette personne sera appelée "bacha posh", elle sera éduquée en garçon, avec tous les droits et obligations que cela entraîne dont notamment celle du travail à l'extérieur, sera appelée par un prénom masculin, jouera, s'habillera, socialisera, se développera musculairement et psychiquement comme un garçon, ira éventuellement à l'école... et ce jusqu'à la puberté, où en principe elle rentrera dans les rôles socialement assignés. En principe. Car les effets de genre ont parfois raison non seulement du biologique mais également des diktats sociaux et religieux, et certaines "bacha posh" au caractère particulièrement bien trempé luttent pour continuer de porter turban, pantalon bouffant plutôt que la burqa et y parviennent, au prix du renoncement au mariage et à la vie de famille. Ajoutons d'emblée - pour ceux qui se posent ce type de questions en France actuellement - que cela ne semble pas du tout provoquer l'homosexualité ni même le moindre doute sur son identité sexuelle, mais que les inévitables effets psychiques du genre, très étendus et profonds chez nous tous, comme on l'apprend et mesure "par absurde", affectent sans doute cette sphère aussi. Ainsi, une "bacha posh" afghane illettrée intègre très naturellement la dichotomie conceptuelle genre-sexe - qui nous pose tant de problèmes, à nous... - sans aucune confusion possible, mais avec les aléas de sa propre biographie quant à la prépondérance de l'un sur l'autre, et surtout la possibilité qui en découle (de manière caractérielle donc psychique - c-à-d en se prévalant du "courage", de la "vaillance" de l'homme) d'imposer peut-être son choix s'il est contradictoire avec la norme sociale.

Ce livre est le témoignage d'Ukmina alias Hukomkhan Manoori, "bacha posh" confirmée et cependant hadji, appartenant à l'ethnie pachtoune, moudjahid à l'époque de la guerre soviétique, aujourd'hui élue au conseil de la province de Khost, ayant serré la main du Président Karzai, de Hillary Clinton et Michelle Obama, montagnarde illettrée, écrit à quatre mains avec la journaliste française Stéphanie Lebrun. Elle raconte sa vie, tout simplement. (Bien qu'il ne soit jamais simple, pour nous lecteurs, de décrypter la "simplicité" dans les textes écrits de cette manière, vu l'impossibilité de mesurer la profondeur de l'intervention de l'écrivant...). Elle parle de "bacha posh" devenues femmes, de ses galons de "guerrière" qui lui ont finalement accordé une place dans la société, de sa réclusion et de sa peur sous les talibans, des premières élections et de la conception assez particulière de la démocratie en Afghanistan, qui a même changé de nom en "amakrasi" : " "Tout le monde fait n'importe quoi." Et, par extension, l'émancipation des femmes." (p. 120) ; elle énonce sa théorie de l'inégalité entre hommes et femmes, et se situe par rapport à elle : "Les femmes et les hommes ne sont pas semblables. Les hommes sont braves et cruels. Les femmes sont bonnes et faibles. Je suis brave comme un homme et j'ai la bonté des femmes. Je peux me montrer cruelle s'il le faut, mais jamais faible. Je vais les aider [les femmes] à moins subir la cruauté des hommes." (p. 126) ; elle parle de son sentiment religieux, du Hadj, de sa certitude de ne pas "vivre dans le péché" contrairement à l'opinion des mollahs ; elle raconte les abominations (selon notre façon de voir) que subissent les femmes afghanes dans leur familles et auxquelles elle est appelée à prêter son écoute et son aide, mais sans aucune admiration pour ce qu'elle a vu des femmes occidentales et de leurs manières désinvoltes, en fait aspirant à faire évoluer des mentalités à l'intérieur du cadre des valeurs partagées (comme nous tous...) ; elle parle, dans le même ordre d'idées, des incompréhensions, malentendus et de ses propres griefs contre l'armée d'occupation de l'OTAN (et ses chiens, animaux impurs), avec laquelle elle a été amenée à collaborer ; elle a sa vision du courage de certaines femmes, ses idoles...
L'épilogue ouvre un aperçu à peine esquissé, avec beaucoup de pudeur, sur la condition d'une vie privée d'amour.
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