David Peace ne pouvait sans doute pas mieux clore sa tétralogie du Yorkshire qu'avec "1983" (1).
Non pas parce qu'il nous livre avec cet opus les réponses aux questions que les volumes précédents avaient pu laisser en suspens. Le lecteur connaît depuis longtemps -ou aura deviné- l'identité des coupables des crimes perpétrés, et si "1983" comble quelques manques relatifs à l'intrigue, ce n'est pas dans ces bribes de réponse que réside l'intérêt du récit.
Ce n'est pas non plus parce que "1983" pose un point final au marasme qui baignait "1974", "1977" et "1980" : David Peace dépeint depuis le début de cette tétralogie un monde dont l'essence est d'être pourri jusqu'à la moelle, et par conséquent dénué de toute perspective d'embellissement...
Non, si je considère que "1983" représente le parfait achèvement de la tétralogie de David Peace, c'est parce qu'il y atteint le paroxysme de ce qui, dès le premier opus, faisait son empreinte : sa capacité à laisser le lecteur hébété, en l'engluant et le pilonnant tout à la fois... Si l'univers dans lequel il nous fait évoluer est toujours le même, un chaos où règne la peur, la mort, la corruption, jamais il n'était parvenu à nous y enfouir à ce point.
C'est la disparition de la jeune Hazel Atkins, 10 ans, sur les lieux où la petite Clare Morlay avait été enlevée (voir "1974"), qui va agiter les remugles baignant les précédentes enquêtes menées par la police du West Yorkshire, relatives aux meurtres de plusieurs fillettes puis de prostituées.
L'intrigue est présentée sous trois angles différents, abordés par le biais de trois personnages avec lesquels le lecteur aura eu l'occasion de faire connaissance auparavant, de manière plus ou moins succinte.
Il y a le "je" exprimé par le superintendant Maurice Jobson -"la chouette"-, jusque-là plutôt discret, voire même un peu falot, dont nous explorons cette fois les obsessions et aussi la cruauté, au cours d'une narration qui navigue entre 1969, date où tout a commencé, avec le meurtre de la petite Jeannette Garland, 1972 (et l'affaire Susan Ridyard, dont il sera question dans "1974"), et 1983.
Il y a le "tu" qui s'adresse à John Pigott, que nous connaissions comme l'avocat de Bob Fraser (voir "1977"), et qui, à la demande de la mère de Michael Myshkin, inculpé du meurtre de Clare Kemplay, décide de faire appel de cette condamnation.
Il y a enfin le "il" qui désigne Barry -BJ-, seul témoin survivant de la fusillade du Stafford (voir "1974"), indicateur en cavale qui en sait trop sur certaines pratiques policières et sur l'identité de certains gros bonnets impliqués dans de sombres affaires de pédophilie..
David Peace procède avec un acharnement méthodique. Suivant un compte à rebours qui nous emmène vers une conclusion inévitablement glauque (à l'image du reste du récit), il assène ses répétitions, parfois jusqu'à la litanie, nous laissant à bout de souffle, écoeuré face à un univers d'horreur et de fracas, peuplés de mères dévastées par la perte de leurs enfants, d'innocents broyés par l'injustice -quoique, dans le monde de David Peace personne n'est jamais vraiment innocent-, de gardiens de l'ordre iniques et violents, un univers dans lequel tout combat, qu'il soit pour la paix, la justice, le bonheur, est perdu d'avance...
Les personnages y évoluent comme dans un cauchemar, nous aussi, et on ne sait plus très bien si, une fois "1983" refermé, on doit se réjouir de ce qu'il soit terminé, ou se lamenter de reposer dans sa bibliothèque la manifestation d'un tel talent et d'une telle maîtrise.
(1) Il est plus que recommandé de lire, et dans l'ordre, les quatre volumes qui forment cette tétralogie, sous peine d'être complètement perdu...
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