[Second roman d'Orhan Pamuk (1983) et premier traduit en français.]
Dans une vieille maison située dans une localité en bord de mer à proximité d'Istanbul, vivent une Dame très âgée et un nain qui lui sert de domestique, à qui elle voue une haine et une méfiance intarissables. Comme chaque été, les trois petits-enfants de la Dame - "un intellectuel désabusé et alcoolique, une étudiante progressiste et idéaliste, un lycéen arriviste rêvant de la réussite à l'américaine" - viennent lui rendre visite pendant quelques jours ; mais cette année un drame va se produire. Les personnages ne communiquent presque pas entre eux, et même quand il le font, ce n'est que pour mieux mettre en exergue le gouffre de solitude sans lequel chacun est enfermé. On peut parler d'un roman sur l'incommunicabilité. Et supposer ainsi que cette dernière soit un paramètre qui mesure l'échec de l'occidentalisation de la Turquie, à laquelle semblent avoir œuvré, chacun à sa manière, les membres de la famille au cours des trois générations.
Les narrateurs du roman prennent la parole tour à tour, pendant un chapitre : ils sont liés entre eux par un secret de famille, mais ils n'appartiennent pas ni n'évoluent pas tous à l'intérieur de la maison.
Il s'agit de : Recep le nain (ch. 1, 6, 9, 13, 19, 27, 30) ; la vieille Dame (ch. 2, 7, 11, 16, 23, 29, 32) ; Hasan, le neveu du nain (ch. 3, 8, 12, 17, 20, 22, 26, 31) ; Faruk, l'aîné des petits-enfants (ch. 4, 9, 14, 18, 24, 28) ; Metin, le benjamin (ch. 5, 10, 15, 21, 25). Nilgün, la cadette, n'est pas narratrice.
La vieille Dame est la gardienne du temps et de l'histoire ; son éternelle plainte grincheuse sur les griefs qu'elle tient à feu son mari, Selâhattin, le véritable personnage phare du roman, qui n'apparaît qu'à contre-jour, la rend insupportable mais d'une certaine manière adorable. Recep fait de la peine. Hasan inspire l'horreur et la colère. Faruk, dans son questionnement sur l'Histoire, est tragique. Metin est agaçant. Ce sera lui, finalement, la Turquie moderne. [Au moins jusqu'à l'arrivée des islamistes, et encore... Mais de cela, il ne pouvait être question dans le roman.]
Münevver Andaç, grande plume de la génération passée des traducteurs du turc, était du nombre de ceux qui francisaient les prénoms turcs par translittération, et plein d'autres choses avec... Mais, tout comme celles que j'imagine sur la peau de la Dame, les rides de cette traduction ne m'ont pas gêné. Peut-être ce qui me dérange le plus, c'est la déformation du titre, littéralement "La maison silencieuse", qui me semble à la fois beaucoup plus fort et plus pertinent. Je veux bien espérer qu'aujourd'hui on ne se permettrait plus de tels écarts injustifiés.
En fait, je conseillerais sans doute ce roman-là à ceux qui voudraient s'initier à Pamuk, même si ce n'est pas mon préféré. Il est cependant très abordable car c'est le plus classique (même au regard de la littérature turque).
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