Budaï ignore comment il a échoué là...
Parti pour la Finlande, où il devait participer, en tant que linguiste, à une conférence, il a atterri dans un pays dont -comble de l'horreur- il ne comprend pas la langue, un étrange charabia qui ne ressemble à rien de ce que cet érudit en la matière a pu étudier. Un car l'a conduit de l'aéroport à un hôtel, où son argent a été changé contre des devises locales. Les lieux semblent surpeuplés : chaque démarche -acheter de la nourriture, obtenir un renseignement auprès de la réception, prendre l’ascenseur- nécessite de patienter longuement dans d'interminables files d'attente. Les individus forment ici des multitudes anonymes dont les déplacements créent un incessant mouvement. Pourtant, Budaï ne pourrait être plus seul qu'au cœur de cette foule indifférente qui ne paraît même pas le remarquer, et avec laquelle il s'avère impossible de communiquer.
Il n'a qu'une idée en tête : quitter cet endroit pour regagner la Finlande avant la fin du colloque.
Mais la barrière de la langue et le manque d'intérêt que suscite chez ses interlocuteurs ses efforts pour se faire comprendre semblent le condamner à chercher une solution par lui-même.
L'absence de fantaisie, d'originalité, et la pauvreté apparente des échanges entre les êtres, contribuent à doter l'univers décrit par l'auteur d'une atmosphère anxiogène, grisâtre, et donnent le sentiment que Budaï évolue dans un cauchemar, perdu dans un environnement déshumanisé.
Et il arrive un moment où le héros lui-même semble prêt à se laisser contaminer par le curieux mélange de frénésie et d'insensibilité qu'arborent les citoyens de ce monde, comme si le rythme et les règles auxquels est soumis le fonctionnement de cette étrange cité avaient fini par l'imprégner.
Ce texte, écrit en 1970, est-il, ainsi qu'il a souvent été écrit, une métaphore visant à stigmatiser la rigidité et l'aliénation des systèmes totalitaires ?
A moins que Ferenc Karinthy n'ait été un visionnaire qui, à l'aube de la mondialisation, n'en ait pressenti les dangers, notamment celui de l'uniformisation croissante de nos sociétés, d'où seraient progressivement gommées toute particularité individuelle. Dans les rues de l'étrange cité imaginée par l'auteur hongrois, Budaï croise des hommes et des femmes qui évoquent de multiples origines (certains sont noirs, d'autres ont le type asiatique, arabe ou scandinave, sans qu'il soit possible de déterminer une quelconque majorité ethnique), mais qui curieusement se ressemblent tous. La plupart portent d'ailleurs des tenues similaires, et surtout, leurs comportements et leurs réactions sont étrangement identiques. Les aliments eux-mêmes révèlent un goût unique, écœurant et sucré...
"Epépé" est considéré comme un roman culte, sans doute en raison de l'originalité de son synopsis, et des questions qu'il est susceptible de susciter chez le lecteur. Personnellement, je n'ai pas accroché à ce récit, qui souffre de longueurs et de redondances, puisqu'il dépeint dans sa majeure partie les efforts vains et répétés du personnage principal pour sortir de cette ville... et de ce cauchemar. La fin, loin de nous éclairer sur une quelconque issue ou explication, est elle-même plutôt décevante.
Je suis donc passée à côté des qualités de ce texte dont j'attendais beaucoup. Peut-être trop...
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