Enki Bilal est un véritable artiste et son style reconnaissable au premier coup d’œil fait merveille dans ce superbe album. Décors mêlant le Paris d’aujourd’hui avec des bâtiments plus modernes dans une ville en pleine décrépitude, société décadente dont les habitants blafards se fardent comme des clowns tristes et répression d’un dictateur utilisant les discours de Mussolini, tout cela instaure une ambiance étrange et prenante. Par contre, je suis moins enthousiaste en ce qui concerne le scénario. J’ai trouvé l’histoire assez surréaliste et en fin de compte elle m’a un peu déçu. Pour exemple, les dieux tout-puissants de l’Égypte coincés au-dessus de la ville à cause d’une banale panne sèche. J’avoue que j’ai un peu tiqué. Ceci dit, la qualité générale de cet album balaye facilement ces petits défauts et encore une fois, c’est magnifique.

Début mars 2023 : Paris est une ville divisée. Dans le second arrondissement habitent les aventuriers, les extraterrestres de tout poil, les marginaux, les clochards et les rejetés de la société. Dans le premier arrondissement, la zone centrale, habitent les maîtres du monde. Habillés élégamment, aux visages peints de blanc et de rouge, tous sont des hommes. Les femmes sont tenues dans une espèce de gigantesque clinique souterraine, aux desseins purement reproductifs. Tous se plient au jeu du dictateur fasciste Jean-Ferdinand Choublanc, sauf les êtres (semblables aux dieux égyptiens) qui habitent le grand astronef pyramidal qui, depuis peu, est apparu au-dessus de l'astroport.
Nous avons un paysage cyberpunk-Métal Hurlant qui sert de prélude au premier livre de la « Trilogie de Nikopol » écrite et dessinée d’une manière remarquable par Enki Bilal. Et déjà dans ce premier volume « la foire aux immortels » tout est joué cartes sur table, au niveau des textes et des dessins.
Les textes sont d’inspiration dystopique et dignes de Philip K.Dick ou d'Aldous Huxley. Le monde décrit est impitoyable et il ne laisse de salut à personne, de même probablement dans ses aspects paradoxaux : les inquiétants chérubins blancs qui entourent le techno-Pape, les créatures extraterrestres perchées sur la tour Eiffel, la violence du sport national.
Au milieu de tout ça, le lecteur ne peut que sympathiser avec Alcide Nikopol: un dissident hiberné trente ans passé avant le début de l'histoire contraint, malgré lui, à faire les comptes avec un monde ravagé et avec un dieu égyptien entièrement convaincu de vouloir habiter dans sa tête. Le scoop: une vengeance qui va de l’avant depuis des millénaires et la domination de Paris.
Les dessins sont très bien réussis. Bilal est l'unique auteur français qui peut se permettre de parler d’égal à égal avec le grand Moebius. Le soin des détails, l'imagination des plans, l’utilisation de couleurs sombres et les coutumes des personnages sont des purs coups de génie. Décidément tout est prendre chez cet auteur.