A la fin des années 60, Carlos ,Pedrito, Rita , Narcisso et les autres ( ça commence comme un film de Claude Sautet, mais on ne va pas retrouver le regard tendre de Claude Sautet...) croyaient que le communisme créerait un monde meilleur. Et, de réunions de cellule aux nuits passées dans des bars à refaire le monde , ils y ont cru ensemble.
Seulement, trente ans plus tard, ils ne sont plus ensemble. Chacun a suivi son chemin, et la seule chose qui me semble les rapprocher, c'est bien le désespoir. Propre à ceux qui ont attendu beaucoup et qui n'ont pas su faire le deuil de ce qu'ils n'ont pas obtenu. Difficile de faire ensemble le constat lors d'un dîner de retrouvailles ( quelle idée, aussi...) qu'ils n'agitaient que du vent. Et que le vent des idéologies est plus facile à agiter -parce que plus abstrait- que la prise de conscience de la détresse de ceux qui nous entourent de très près.. Et trente ans après, il en est encore qui ne l'ont pas compris , et qui attendent..
" Merde au futur. C'est rien, c'est une idée qu'on s'est mis dans la tête- nous qui pensons. Le futur n'existe pas. Ce n'est que de la pensée, vous comprenez?...Le pire du futur, c'est ça: le futur n'existe pas et pèse sur nous plus que le passé, qui s'est déjà évanoui aussi. Une vie provisoire, une vie en salle d'attente, tu n'as pas l'impression que nous attendons qu'il se passe quelque chose, qu'il nous arrive une vie nouvelle?"
C'est un roman que j'ai trouvé difficile à lire . D'abord parce que c'est un roman musical- choral comme on dit- dans lequel chaque personnage raconte son histoire et sa façon de voir les choses , que chaque version éclaire ou contredit celle de l'autre, mais qu'il n'y a pas de vrai passage de l'une à l'autre si bien que l'on a du mal à se repérer . Mais que c'est très bien comme cela, cet assemblage de partitions qui finalement aboutit à un ensemble, sans vraie dissonance..
Et puis parce que c'est un roman implacablement réaliste, et que la réalité est toujours dure.Amère. Je le trouve quand même un peu trop sévère, Rafael Chibres, pour ses personnages. Et surtout pour lui, car c'est lui -même qu'il vise:
"J'en avais assez des discours bigots sur notre génération et sur la perte des idéologies, je me suis dit que j'allais les faire exploser à la poudre. Sans idéologie, on n'est rien, on est des ruines! Chaque personnage de ce roman est une parcelle de moi que je me suis acharné à détruire...
Ecrire ce livre m'a fait beaucoup de mal. Depuis je ne trouve plus de voie vers l'écriture. Il n'y a pas de littérature sans Histoire, ne comptez pas sur moi pour verser dans l'ordure autobiographique..."
dit-il dans un entretien.
Rafael Chibres a fait de la perte de ses illusions un fort beau roman...et m'a renvoyée au fameux texte de Philip Roth, plein de la même difficile mais indispensable lucidité , qui dit que c'est se tromper et se tromper encore qui fait que l'on est vivant..
Et j'aurais envie de lui dire que la "lutte finale", ça c'est du vent, oui, mais que la lutte constante n'en est pas ... mais cela n'a pas sa place dans un petit compte rendu de lecture!
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