A l'âge de seize ans, Al Kenner tue ses grands-parents. Sa grand-mère, parce qu'elle l'empêche, dit-il, de respirer, et son grand-père, pour lui épargner la douleur que suscitera la mort de sa femme.
Il se livre à la police, est jugé irresponsable lors de son procès, et est interné dans un établissement psychiatrique où il passera cinq ans de sa vie, avant d'être remis en liberté conditionnelle pour bonne conduite, à condition qu'il vive éloigné de sa mère...
Le récit est centré sur la personnalité complexe et torturée de ce personnage, qui en est d'ailleurs le narrateur. Al a toujours été un être solitaire, doté d'une incapacité pathologique à éprouver une quelconque empathie pour ses semblables. Le contact avec les filles provoque en lui une irrépressible répulsion, et il a une peur viscérale de la violence physique, ce qui peut sembler paradoxal de la part de ce grand gaillard de deux mètres vingt et cent trente kilos... Cette peur l'a retenu de s'engager pour le Viet-Nam, alors qu'il aurait tant aimé montrer à ce grand combattant de la seconde guerre mondiale que fût son père qu'il était digne de lui.
Lorsqu'il sort de la clinique psychiatrique où il était interné, ce père tant admiré, et seule personne à lui avoir jamais montré son affection, est malheureusement introuvable... Al est contraint de demander assistance à sa mère, bien que les médecins lui aient recommandé d'éviter tout contact avec elle, le temps de trouver un emploi et un logement.
Cette femme imposante, masculine, a toujours montré pour son fils unique -elle a eu, hormis Al, deux filles- une haine méprisante. Rien n'était assez humiliant pour mortifier le garçon qui dormait à la cave et recevait brimades sur brimades, quand ses sœurs logeaient, traitées comme des princesses, dans les chambres à l'étage.
Plus que le portrait d'un serial killer, "Avenue des Géants" est le témoignage -fictif- d'un homme habité d'un immense mal-être. Al Kenner ne se sent pas ancré dans le monde, et vit comme à côté de lui-même. Quoique "vivre" n'est sans doute pas le terme approprié, ainsi que l'exprime le narrateur : "Le sentiment que la vie vous quitté de votre vivant est l'expression de la solitude absolue. Personne ne peut le comprendre ni le partager".
Il est déchiré entre un besoin désespéré de routine, et l'angoisse que provoque l'absurdité de la répétition. Son existence est une lutte permanente contre les mauvaises pensées qui le hantent et menacent à chaque instant de le faire sombrer dans la folie.
En prenant le parti de donner la parole à son héros, Marc Dugain entretient jusqu'au bout le doute quant aux actes dont il se rend -ou pas...- coupable. Le récit est semé de non-dits, le lecteur ressentant presque la lourdeur de certains silences, en fin de paragraphes. Il parvient à nous attacher à cet homme étrange dont on ne saurait dire s'il est monstrueux ou incurablement malade, mais qui se révèle en tous cas fascinant...
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