Anna fait partie de la bonne société russe, elle a une excellente situation en étant mariée à Karénine et déborde d'amour pour son fils. Elle est assez proche de son frère, Oblonski, un haut fonctionnaire terriblement désinvolte et égoïste, mais toujours débordant de gaité, et par la même occasion de sa belle-soeur, la douce Dolly. Dolly a plusieurs soeurs, dont Kitty, qui se fait courtiser par Lévine, grand ami d'Oblonski mais au caractère franchement différent, et par Vronski, qui courtise à peu près n'importe quelle jolie minette en jupons. Je vous ai cité les principaux personnages... et bien évidemment, il y aura, entre eux, de la passion, de l'amour, des déchirements, des désaccords... tout, quoi!
Je n'ose pas vous dire tout simplement que j'ai adoré ce roman. J'aurais l'impression de lui faire affront, avec une platitude pareille. Pourtant comment le dire autrement? Anna Karénine, c'est un chef-d'oeuvre! Tout y est! C'est un énorme coup de coeur (deuxième platitude).
J'ai corné je ne sais combien de pages au fur et à mesure de ma lecture. Tolstoï a une écriture véritablement prenante, et pas du tout difficile d'accès comme on peut se l'imaginer, ce qui donne une lecture résolument moderne, d'autant plus que ses thèmes sont intemporels (l'amour, l'amitié, la fraternité, la naissance, la mort etc.).
Tous les personnages, absolument tous, ont une personnalité, des traits de caractère finement pensés, ce qui donne à l'ensemble du roman une étoffe incomparable. Karénine, par exemple, n'est pas seulement un homme intègre et malheureux, il a aussi une suffisance et une vision du monde qui l'entoure qui le rendent terriblement antipathique malgré ses malheurs. Anna, somptueuse, mère aimante, amie à l'écoute, soeur attentive, est aussi une femme qui découvre la passion ; et la passion, ce n'est pas l'amour... Enfin, pour moi, la différence existe, et c'est sur le compte de la passion que je mets certains nouveaux traits de caractère d'Anna qui la rendent parfois franchement agaçante.
Je ne vais pas vous faire le portrait de chacun (Tolstoï s'en est chargé!) mais je voudrais tout de même dire deux mots sur deux personnages qui m'ont plus particulièrement touchée. J'aime beaucoup le père des princesses Stcherbatski ; ses avis ne sont pas toujours "politiquement corrects", mais souvent fins, et il a beaucoup d'humour. Petite discussion entre le prince et une dame de ses connaissances :
"Le fait est, ma chère [en réponse à sa femme], qu'on s'ennuie ici à périr.
- Comment cela, mon prince! s'exclama Marie Evguénievna. Il y a maintenant tant de choses à voir en Allemagne.
- Mais je les ai toutes vues. Je connais le potage aux pruneaux et le saucisson aux pois. Cela me suffit".
L'autre personnage dont je voulais parler est l'un des principaux héros du roman : Lévine. Tolstoï a mis beaucoup de lui-même dans Konstantin Levine (merci aux notes de l'édition Folio!), peut-être est-ce pour cela que son personnage est si riche, si intéressant. Lévine est un gros propriétaire agricole, taraudé par ses réflexions. Son esprit carbure en continu, et il n'a de cesse de réfléchir à la condition ouvrière, aux grandes questions d'agronomie, aux théories religieuses et philosphiques sur la mort... Certains passages, où Tolstoï nous livre la pensée de Konstantion, sont assez longs, mais ils ne m'ont pas du tout paru ennuyeux, c'est passionnant de lire ce cheminement intellectuel. Levine a en outre une haute opinion de l'amour (pas comme son ami Oblonski...) et... je ne vous en dis pas plus pour éviter de vous spoiler, mais un certain passage est particulièrement émouvant et fait écho à un épisode de la propre vie de Tolstoï.
L'esprit, le style, l'intrigue, les personnages, tout est dans ce roman. C'est sublimissime, c'est un chef-d'oeuvre, courez le lire!
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