Son titre donne le ton : avec "Le mystère Frontenac", nous n'aurons pas affaire à un personnage central sur lequel l'auteur focalise son attention (telle une "Pharisienne" ou une "Génitrix"), mais à un clan, une entité qui revêt davantage d'importance que les individus.
Et pas question d'y introduire un élément qui en altérerait la pureté ! Xavier Frontenac préférera entretenir toute sa vie, clandestinement et avec la plus grande pingrerie, une maîtresse qu'il juge indigne de porter son nom, plutôt que de spolier ses neveux chéris du moindre centime qui leur revient de droit. Il faut dire qu'il vouait une véritable adoration à son défunt frère Michel, père des dits neveux. La veuve de ce dernier, Blanche, élève seule ses cinq enfants, avec le soutien de l'oncle omniprésent et dévoué.
Et n'allez pas croire qu'il s'agit là d'une banale et sordide histoire d'adultère entre beau-frère et belle-sœur. Blanche comme Xavier agissent avec comme principal objectif de maintenir le lien familial, pour pérenniser la tribu Frontenac. Il le font avec une abnégation qui va de soi, conscients de leurs failles (pour lui sa maîtresse, pour elle ses envies sporadiques de séduction, de coquetterie..) et capables de les surmonter finalement sans peine, tant l'impératif familial est au-dessus de tout. Blanche, femme très religieuse, dont la beauté négligée se défait peu à peu, ne vit que pour ses enfants, veillant sur leurs intérêts avec une directivité tranchante, s'assurant d'en faire de parfaits Frontenac. L'aîné des garçons, Jean-Louis, s'occupera du domaine landais, secondé par ses frères José et Yves. Il suffira d'unir les deux filles à des hommes jouissant d'une bonne situation...
Tout est tracé, en somme... ou presque. Parce que François Mauriac situe son intrigue à ce moment de tous les possibles, quand l'avenir est une vaste toile vierge que l'on peut encore peindre de ses illusions, de ses ambitions : l'adolescence. Celle des enfants Frontenac, dont l'auteur a su capturer l'essence, cet entre-deux où tout bouleversement est possible. Jean-Louis, en aîné sûr de lui et de son intelligence, a l'intention de passer des concours pour être professeur de philosphie. Yves, l'angoissé, oublie sa laideur et exprime la complexité de ses sentiments en écrivant de la poésie...
Suivront-ils leurs envies ou le devoir qui leur incombe en raison de leur nom ?
Je ne ferai pas de révélation fracassante en précisant que "Le mystère Frontenac" est exempt de révolte, de combat intergénérationnel. On n'y côtoie pas, comme c'est souvent le cas dans l'oeuvre de Mauriac, la noirceur des âmes, on n'y ressent pas cette atmosphère oppressante qui baigne nombre de ses intrigues. "Le mystère" réside sans doute au contraire dans ce lien qui unit les membres de la famille Frontenac, construit par le nom, la terre, l'amour, par l'assurance que ceux du clan seront toujours là pour vous, avec leur bienveillance et leur solidarité. Ils sont comme portés par une force qui les dépasse, héritée de leur appartenance à une bourgeoisie terrienne aux valeurs solides et pragmatiques.
Je préfère, à vrai dire, quand François Mauriac se montre plus acide, et nous livre des récits plus torturés, plus sordides... Mais j'ai malgré tout dévoré ce titre, grâce encore une fois à la fluidité de son écriture, mais aussi grâce à l'odeur des pinèdes et aux émois de ses jeunes héros...
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