Je suis une solitaire.
J'abhorre les mouvements de foule, je me méfie comme de la peste des consensus, je suis allergique aux téléphones portables et je fuis les personnes indiscrètes. D'ailleurs, la passion de la lecture, ou plutôt le besoin de lecture, suppose une certaine affinité avec la solitude, non ?
L'autre activité qui me permet d'assouvir cette nécessité de ne me retrouver qu'avec moi-même, c'est la course à pieds. Que je pratique dans les bois, sans musique ni montre, sans cardiomètre ni GPS. En totale amatrice. Je tiens à me montrer honnête : je ne suis pas une sportive dans l'âme (ni trop dans le corps non plus d'ailleurs) mais l'âge avançant, certaines raideurs matinales, et à l'inverse certaines flaccidités musculaires, ainsi qu'un essoufflement un peu trop précoce à mon goût lors de la montée des quelques marches qui mènent au bureau, m'ont incité à reprendre un peu d'activité.
Assez pour que, lors de l'une de ces fulgurances d'enthousiaste optimisme pendant lesquelles tout vous semble possible, je m'inscrive à une compétition... Rendez-vous pris, donc, pour le Marathon de Bordeaux... NOONN, il n'est pas question que je courre 42 kilomètres et des poussières (autant me demander d'arrêter de lire), mais d'en faire la moitié, en duo, mon cher et tendre prenant le relais à mi-parcours. Oui, car j'aime la solitude, mais je ne vis pas pour autant en recluse (bien que parfois, cela me tente assez, notamment lorsqu'il faut rentrer le dimanche avant 18 h pour suivre le tournoi des 6 nations, ou que je réalise que cela fait 10 ans que c'est à moi, parmi un foyer de quatre individus valides, que sont tacitement réservées certaines corvées rebutantes, comme de changer la caisse du chat ou récurer les chiottes au vinaigre blanc).
Ce qui signifie concrètement que, dans 2 semaines, je devrais courir 21 kilomètres, et hors de question de flancher en route, sinon mon binôme sera condamné à attendre pour finalement ne pas partir.. J'ai connu une intense période de découragement : des douleurs aux jambes (j'ai appris, après avoir consulté trois soi-disant spécialistes, l'existence des Dom's...) m'ont empêché de m’entraîner décemment, et me persuadaient, après avoir couru mes 10 bornes tri-hebdomadaires, que le double, ce ne serait pas absolument pas possible.
Maintenant, ça va mieux... J'ai toujours mal aux jambes, je ne m'entraîne pas davantage, mais j'ai lu "En avant, route !" d'Alix de Saint-André.
Alix de St André est écrivain et journaliste (elle a entre autres été chroniqueuse pour Elle et Canal +)... En 2003 elle prend pour la première fois la route des chemins de St Jacques de Compostelle, à partir de Saint-Jean-Pied-de-Port, au Pays Basque. Elle a alors quarante ans passés, fume trois paquets de cigarettes par jour, et ne fait pas de sport. Il n'empêche, elle va avaler, à pieds et sac au dos, quelques centaines de kilomètres. Elle qui s'imaginait vivre un grand moment de solitude (tiens, elle aussi ?) et de méditation, vit un pèlerinage de rencontres fort diverses... Tout au long du parcours, elle sympathise avec des bavard(e)s, des insouciants, des épicuriens, subit quelquefois des pontifiants ou des insupportables...
Et c'est très réjouissant. Les douleurs et les ampoules, la promiscuité des nuits en refuges, tout est décrit avec humour et auto-dérision. Car si Alix se montre parfois sans pitié pour les travers de ses compagnons de route, elle n'est pas plus tendre avec elle-même. Avec honnêteté, elle reconnait que sa première escapade sur les chemins lui a permis de tester les limites de sa solidarité, et de constater que la douleur la rendait perfide (mais du coup, d'autant plus drôle !).
De courts chapitres égrènent la succession des jours, qui s'écoulent comme dans un autre temps, plus long et plus dense, formant une une dynamique plaisante, rythmé par les anecdotes cocasses mais aussi par les beaux moments qui ponctuent le trajet. L'hospitalité des résidents du chemin est un baume sur la fatigue et la douleur des fins de journées.
C'est en 2007 seulement qu'Alix de Saint-André décide d'écrire sur son aventure. Mais sans notes, et en manque de témoignages consistants de la part de ses anciens compagnons de route, elle éprouve le besoin de repartir, autant pour trouver de la matière à son récit, que pour fuir l'angoisse de la page blanche...
Elle reprendra une troisième fois la route, dans le but de réaliser enfin son rêve de méditation et de solitude. Elle part, seule, du Maine et Loire où elle vit, avec l'intention de rejoindre le cap Finisterre, l'étape ultime, en Galice, à plus de 800 kilomètres... Ce dernier voyage sera celui du questionnement sur sa foi, et surtout sur elle-même, ses choix de vie, ses relations avec les autres.
La ton se fait plus sérieux, plus introspectif, et j'avoue que, parvenue à cette partie du récit, la lassitude a pointé le bout de son nez : une sorte de routine de la route s'installe, avec l'impression parfois de revivre en boucle les mêmes événements...
Mais peu importe : même si je l'ai trouvé un peu ennuyeuse vers la fin, cette lecture a été pour moi un véritable remontant !
Parce que je me dis que si Alix de Saint-André, grande fumeuse devant l'éternel, pas marcheuse pour un sou, a pu parcourir à pieds ces centaines de kilomètres, il est sans doute possible que je parvienne à boucler cette satanée moitié de marathon en un temps à peu près raisonnable !
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