Entrer dans un livre de Chloé Delaume, c'est comme pénétrer dans un laboratoire, et regarder l'auteur s'amuser avec tout ce qui lui tombe sous la main. C'est ludique, avant-gardiste, créatif et surtout à mille lieues des conventions imposées par l'édition à but commercial (qui se prend d'ailleurs une joyeuse claque).

Qui a tué la Narratrice DELAUME ?

Un roman d'une rare richesse littéraire tant son auteur est foncièrement libre de toute contingence en la matière.

Les écrits de Chloé DELAUME sont comme une catharsis. Ses personnages font peur et font s'interroger sur l'intégrité mentale de leur créatrice. D'ailleurs sont-ils créés par elle ?

Comment ne pas s'enfermer dans un canevas littéraire ?

Comment ne jamais laisser le lecteur se reposer sur ses lauriers ?

Comment l'entraîner dans un univers paradigmatique, oulipien et expérimental, sans pour autant qu'il ne s'y brûle les ailes ?

Toutes ces questions sont au coeur de la démarche de l'écrivain.

L'histoire se déroule à l'hôpital Sainte-Anne, où trois femmes et trois hommes reviennent sur leur passé pour mieux faire comprendre les pathologies qu'ils se sont inventées. Se livrant à une singulière partie de Cluedo, ils éventent leurs âmes schizophrénées sur un rythme qu'orchestrent des intermittents du roman, une Narratrice Omnisciente ("citoyenne relais de la République Bananière des Lettres"), et Chloé DELAUME en personne. Tout est bon pour montrer que leur vrai crime, outre celui d'avoir assassiné le Docteur Lenoir, est de s'être laissés asservir à un système qui, les ayant privé de leur liberté, les a rendus fous.

Ames sensibles s'abstenir !

Quelques passages pour mieux vous donner une idée :

Aline (souffrant sans doute du syndrome de Korsakoff) :

- "Elle se promena longuement en elle, arpentant son néant en de grandes enjambées, parcourant ses membres et globules en y quêtant vainement un fragment du passé"

- "Si Aline noircissait de déliés la pâleur initiale de ces feuilles, c'était juste par souci de procrastination "

- "C'est à cause des souvenirs que l'intérieur des crânes sent le renfermé"

Séraphine :

(...) et devant le cadavre putréfié inhumé tous se saccagent la peau à coups d'ongles incrustés, leur nuque reste entravée la laisse ombilicale grignotant les tissus et toute leur volonté".

Après "Les Mouflettes d'Atropos"et "Le cri du sablier", une nouvelle fois bluffé