Un roman comme "Moby Dick" s'aborde avec quelque appréhension. On s'imagine au pied d'un Everest, motivé par la conquête, mais tracassé par un possible échec, par la perspective de passer à côté d'une expérience unique et inoubliable...
Et c'est bien l'impression d'avoir gravi une montagne qu'il me reste, a posteriori, ayant tourné la dernière page de cet imposant ouvrage voilà une quinzaine de jours.
Il y a des passages difficiles, quelques moments de découragement, mais ils sont bien vite oubliés, en regard de ce qui, au final, est obtenu : le plaisir que vous procure la beauté du texte, et le sentiment d'évasion que vous apporte sa dimension épique.
Cette notion de "dimension" est d'ailleurs primordiale : à l'image de son sujet -le plus grand mammifère qu'à notre connaissance, la terre (ou plutôt la mer !) ait porté-, "Moby Dick" est surdimensionné. Tout y est gigantesque : l'environnement naturel et ses fureurs, les émotions de son héros et la folie de son comportement, la prégnance de son atmosphère parfois quasi apocalyptique.
Au centre de cette démesure, le narrateur, Ishmaël, en observateur curieux et avisé, certes impliqué mais gardant toujours la maîtrise de sa relation, guide le lecteur en même temps qu'il l'imprègne du caractère extraordinaire de cette double épopée qu'est la chasse à la baleine et la chasse à Moby Dick.
C'est depuis l'île de Nantucket (située à une quarantaine de kilomètres au large du Cap Cod) qu'Ishmaël embarque sur un baleinier, se mêlant à un équipage composé de "renégats, de naufragés et de cannibales". Il réalise rapidement qu'Achab, le capitaine du navire, homme taciturne au comportement étrange, mène cette campagne dans un seul but : celui de retrouver Moby Dick, la baleine blanche à laquelle il doit d'avoir perdu une jambe.
Cette quête est une véritable obsession, Achab semble avoir concentré sur la cachalot toute la haine dont il est capable. Cette haine en devient presque une entité indépendante, palpable, elle habite le capitaine avec une telle force qu'elle lui permet d'embarquer dans sa folie tous les membres de son équipage.
Le récit de cette poursuite tourmentée est entrecoupé de digressions au cours desquelles Ishmaël instruit le lecteur sur la baleine et sur sa chasse. Il nous abreuve ainsi d'explications très techniques sur le dépeçage ou les techniques pour fondre et entreposer l'huile du cétacé, d'observations scientifiques sur le pedigree et les habitudes du léviathan. Mais il se fait aussi le recenseur des mythes qui entourent l'animal, dont la taille hors norme a, depuis des temps immémoriaux, nourri les fantasmes les plus extravagants, en même temps qu'elle suscitait à la fois terreur et respect. Références bibliques et littéraires, évocation de légendes plus ou moins anciennes, participent ainsi à parer le cachalot d'un caractère sacré et mystérieux.
Ce sont ces digressions qui, en dotant le roman de nombreuses longueurs, sont la cause des moments de découragement évoqués plus haut... Mais il serait injuste de ne retenir que cela de la lecture de Moby Dick, tout comme il serait vraiment dommage de se priver de ses nombreuses qualités pour ne pas avoir voulu subir quelques passages un peu laborieux.
Car "Moby Dick", c'est avant tout une histoire d'aventure dense et palpitante, dans un contexte grandiose de fureur démente, de périls et de beauté marine, qui bénéficie d'une écriture magnifique, tantôt lyrique, tantôt gouailleuse, en tous cas fortement évocatrice...
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