Lucien Leuwen, fils d'un riche papa banquier parisien, qui lui assure le gîte et le couvert ainsi qu'une grande protection car son esprit de plaisanterie autant que son entregent sont craints, est chassé de l'École Polytechnique pour être soupçonné de républicanisme (oh, pas très activiste, comme on le verra), ce qui n'est pas admis sous Louis-Philippe, évidemment.
Soudain piqué de ne rien devoir qu'à ce père-là, Lucien a la velléité de se lancer dans une carrière : ce sera lieutenant des lanciers, à Nancy. Évidemment, Nancy, sa ville et son œuvre, donnent lieu à des pages cruelles, pour justifier, sans doute, que notre lieutenant, désespéré de s'ennuyer le soir chez lui parce qu'aucun républicain (qu'il renie tant et plus) ou "juste-milieu" ne lui paraît assez bien pour son auguste personne habituée au bon-bec de Paris, se mette à courtiser le milieu ultra de Nancy ; cela ne l'empêchera pas de rire sous cape des ridicules (que je n'ai pas toujours perçus) des uns ou des autres, censés être fréquentables et pourtant décrits comme ennuyeux, stupides et ridicules. En ce cas, je n'ai pas compris l'intérêt de piétiner ses sympathies républicaines jusqu'à s'abaisser à fréquenter ces légitimistes snobs et leurs curés intégristes, si c'est pour aboutir à un ennui équivalent à celui des autres "salons". D'ailleurs notre soldat paraît plus occupé à Nancy à faire le caniche devant les comtesses qu'à son emploi militaire ; on a l'impression que monter à cheval en uniforme lui sert surtout à aller frimer sous les fenêtres de Mme de Chasteller, d'abord parce que celle-ci a eu le malheur de rire un jour où il est tombé de cheval, ensuite parce qu'il se dit (hou la la, pas tout de suite, ça serait trop simple !) qu'il en est amoureux.
A partir de là, de crainte que le livre ne me tombât des mains, je me suis mise à le lire au 2ème degré à Chantereine et Flèche, pliés de rire, devant les chassés-croisés et les cours-après-moi-que-je-t'attrape interminables, les dialogues sans intérêt rapportés presque en temps réel entre les amoureux qui se battent froid ou se font des déclarations ébouriffantes (ainsi Mme de Chasteller tombe-t-elle malade de s'être déshonorée en demandant à Lucien... ce qu'on pouvait dire de mal d'elle : c'est-y pas digne d'une catin, ça ?). La pauvre riche veuve ultra, parfaitement libre de son cœur, a des scrupules qui la feraient bombarder de tomates par la princesse de Clèves elle-même, je crois.
Quant à Lucien, il finit par partir en courant de Nancy, rejoindre avec soulagement Paris et réclamant, avec une suite dans les idées qui m'échappe, à son père un emploi administratif dans un Ministère avec le but avoué de devenir un parfait fripon, à condition (on a sa délicatesse, m*rd* !) de n'avoir à provoquer la mort de personne ! Là où je ne comprends pas, c'est que tous les tripotages proposés ensuite par son Ministre (étouffer une bavure, acheter des voix aux élections...) sont refusés puis négociés avec des hauts-le-cœur de franciscain et des pudeurs de rosière.
Permettez-moi d'arrêter là le résumé (il faut toujours l'arrêter avant la fin) : d'abord il n'y a pas grand'chose à dire d'intéressant de cette deuxième moitié, dont je ne voyais plus la fin et qui, lorsque j'ai eu le malheur de la lire à la fin d'un repas en position allongée m'a immanquablement conduite au sommeil (Flèche s'est assez moqué de moi à ce sujet) ; ensuite, le récit minutieux des magouilles dans lesquelles Lucien se voit obligé de tremper le moins possible de lui-même est fait pour lui-même, sans intérêt dramatique.
Je me suis dit plusieurs fois en lisant : "Ce n'est pas possible ! c'est un premier jet sur plusieurs mois, et jamais relu ! Stendhal ne m'a jamais autant barbée !"
Ce qui me le faisait dire, c'était l'incohérence des actions, des caractères peints, les ellipses et allusions pas explicitées. Qu'il y ait contradiction entre caractère et action, évolution psy d'un personnage n'a rien que de très naturel... et talentueux. Le problème est cette impression que non seulement ça n'est pas fait exprès, mais même que ça a complètement échappé à l'auteur, comme s'il avait perdu de vue l'intégralité de sa construction... ou pas relu, pas mis en forme.
Du coup, je me suis infligé la préface de Claude Roy pour en avoir le cœur net : eh oui, le départ du récit est un manuscrit raté d'une copine, Mme Gaulthier, qu'il a entrepris de corriger, puis transformer, et il n'a pas achevé ce travail. Du fond de tiroir, c'est bien ce que je pensais. Dommage.
Challenge MEP 2007