Je suis peintre parce que mes mains ont fait ma force, parce que des toiles puissantes et belles m'ont convaincu qu'il y a là une voie pour moi. Mais je me méfie de la beauté, c'est du bluff, une manipulation qui peut laisser totalement passif celui qui la regarde. Je préfère lui suggérer une question...
Je viens de terminer la lecture de l'autobiographie du peintre Gérard Garouste (contemporain français, vivant, il a une soixantaine d'années). Je ne connaissais pas son œuvre (et après une googleisation, je ne pense pas la connaitre beaucoup mieux mais au moins je la situe).
J'aime bien les livres écrits par les artistes car même s'ils ne donnent pas toujours les clés pour lire leurs œuvres, ils donnent bien souvent une lecture intéressante de l'art en général.
En peinture, il y a un éternel débat (un peu vain) entre les supporter du figuratif et ceux de l'abstrait. Les supporter du beau contre ceux du concept. Je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire.
Il y a aussi deux idées reçues qui ont la peau dure :
Une confusion entre talent et technique. "c'est beau", "c'est bien fait", "c'est joliment exécuté"...Or à leur époque Poussin, Rubens, Bruegel étaient des marques et non des hommes. Une toile était un travail collectif réalisée par plusieurs peintres : le spécialiste des visages, le spécialiste du soleil couchant, le spécialiste des fruits, le spécialiste du gibier mort...comme en gastronomie, le Maître se contentait de valider l'ensemble par sa signature et surtout de faire du marketing auprès des mécènes pour vendre son travail et faire vivre son atelier.
L'idée que l'art contemporain, non figuratif, abstrait, c'est du gribouillage de gamin. Or, à de rares exceptions près, les artistes contemporains sont des techniciens avertis car, comme le dit Garouste "ce n'est pas la technique qui est intéressante, mais la liberté qu'elle offre, ce moment où l'on domine la règle".
La toile du peintre n'est pas improvisée. Il mûrit longuement son projet sur un petit carnet qui ne le quitte jamais. L'idée, la réflexion, la conceptualisation, c'est çà l'art. L'exécution n'est que la technique.
La quintessence de ce cheminement, je l'ai vue à la fondation Miro de Barcelone. Dans la dernière partie du musée, il y a une grande salle blanche avec un triptyque magistral appelé l'espoir du condamné à mort. Ce sont des toiles immenses et minimalistes que Miro a préparé pendant plusieurs années. Il y a des tonnes de notes, des carnet, des esquisses qui sont conservés dans la même salle. On comprend bien que la toile est l'aboutissement d'un intense travail de réflexion, d'analyse, d'introspection.
Garouste est un artiste torturé, traumatisé par une relation conflictuelle avec son père, fasciné par le judaïsme. Maniaco-dépressif, il risque à tout moment de sombrer dans la folie. C'est aussi un homme sensible et touchant et son texte est très émouvant. Une vraie découverte que je vais pouvoir prolonger par celle de son œuvre picturale.
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