Sur près de trois décennies, (de 1975 au début des années 2000), Don Winslow dissèque les enjeux dissimulés derrière la croisade anti-drogue de plusieurs gouvernements successifs, révèle l'étendue de la corruption, des compromissions, la violence des exactions qui ont entouré ce qui finalement n'était rien d'autre qu'une lutte aveugle et sans merci contre la menace communiste présente en Amérique latine.
Art Keller se trouve au coeur de la vaste toile que constitue l'intrigue. De retour du Viet-Nam, il rejoint les rangs de la D.E.A, avec pour mission de démanteler le trafic de cocaïne mexicain. C'est à cette occasion qu'il fait la connaissance des hommes du clan Barrera : Miguel -el Tío, le doyen, et ses neveux Adán et Raúl. Miguel, alors bras droit du gouverneur mexicain de la région du Sinaloa, se débrouille pour manipuler Art et prendre le contrôle du narcotrafic.
C'est le début d'une guerre impitoyable que vont se livrer Keller et les Barrera.
Du Mexique au Honduras, du Nicaragua à New York, le lecteur assiste médusé à à la mise en place d'une secrète et gigantesque organisation qui, au nom de la raison d'état, consiste à échanger des armes contre de la drogue, les premières destinées à éradiquer les mouvements gauchistes, la seconde servant à financer tous les moyens utilisés pour mener à bien cette élimination. La coordination des actions ainsi engagées dans le lutte anti communiste est, pour résumer, "sponsorisée" par les seigneurs de la drogue.
Et peu importent les dommages collatéraux, parmi lesquels, entre autres, l'inondation par le crack des quartiers pauvres des États-Unis, où il fait d'irréversibles ravages, ou encore la mort des innocents qui se sont malheureusement trouvés sur le chemins des trafiquants ou des mercenaires à la solde des services secrets américains chargés de "nettoyer" la racaille de gauche. Peu importe la pauvreté subie par des peuples exsangues, terrorisés par des fonctionnaires corrompus, et dont toutes les ressources ont été détruites au nom de la soi-disant lutte contre la drogue...
"La griffe du chien" embrasse toutes les problématiques -sociale, politique, morale- liées à cet aspect occulte de l'histoire américaine, en évoque tous les acteurs (les gouvernements, la Mafia, la CIA, l'Eglise, même, et j'en passe...) sans jamais nous plonger dans la confusion ou dans l'ennui. Avec patience, Don Winslow élabore son intrigue, pose ses jalons pour nous livrer une oeuvre parfaitement maîtrisée et de surcroît passionnante.
Ses personnages, Art Keller en tête, habité par ses obsessions et sa soif de vengeance, sont d'une consistance qui les rend crédibles et fortement attachants. Malmenés par des puissances qu'ils ne peuvent contrôler et auxquelles ils ne peuvent échapper, la plupart sont condamnés à la solitude, à la perte de ceux qui leur sont chers.
Art incarne une immense et amère désillusion, lui qui ne croit plus en un pays dont les dirigeants bafouent tous les principes qu'il professent.
Le roman de Don Winslow est à la fois épique, violent, instructif, atterrant... il est surtout EXCELLENT !
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