L'oeuvre de Philip K. Dick est vaste, protéiforme, et je ne fais que débuter dans la découverte de son imposante bibliographie, qui bénéficie de régulières rééditions.
"J'ai lu" s'est notamment lancé, à l'occasion du trentenaire de la mort de l'auteur, à partir de 2012, dans la republication de près d'une quarantaine de ses titres. Parmi eux, "Coulez mes larmes, dit le policier", qui a de surcroît fait l'objet d'une nouvelle traduction.
Que ce roman soit de "science-fiction" n'a guère d'importance. D'ailleurs, les amateurs de voyages spatiaux ou d'aventures extra-terrestres en seront pour leurs frais. Il y est bien question de mondes parallèles, mais cela reste complètement anecdotique, une manière rapide et facile pour l'auteur d'introduire une explication à l'aspect fantastique de son histoire. Et c'est ailleurs que réside l'intérêt de "Coulez mes larmes, dit le policier"...
Jason Taverner est une célébrité du petit écran. Des millions de téléspectateurs suivent quotidiennement le show qu'il anime. Il est adulé, riche, heureux. Et c'est un "six", fruit d'un programme génétique qui le rend physiquement et psychologiquement plus fort que les citoyens ordinaires. Mais brutalement, tout change. Jason se réveille un matin en parfait anonyme, un inconnu dont même ses proches, sans parler de le reconnaître, n'ont jamais entendu parler. Administrativement, il n'a jamais existé. Dans un état policier où tout est maîtrisé, surveillé, il risque, sans papier homologués qui permettraient de l'identifier, d'être arrêté à tout moment. Le voilà devenu un véritable paradoxe : "légalement invisible, d'une illégalité voyante".
Un vrai cauchemar, en somme...
Mais, plutôt que de se laisser abattre, Jason, en digne "six", part presque immédiatement à la recherche d'une solution : son entrevue avec une jeune femme susceptible de lui établir de faux papiers, est le début d'une série de rencontres dont le caractère improbable dote le récit de sa tonalité si particulière. Les personnages croisés sont tantôt odieux, tantôt grotesques, souvent touchants... parfois, ils sont tout cela à la fois, tel ce couple étrange formé par l'inoubliable général de police Félix Buckman et sa sœur. Le titre de l'ouvrage est d'ailleurs une référence à ce policier à la psychologie complexe, qui laissera au lecteur un souvenir probablement plus marquant que celui d'un Jason dénué d'humour et de sensibilité.
Maniant un humour à la fois absurde et cynique, Philip K. Dick nous livre avec ce titre un récit à l'atmosphère angoissante et mélancolique, riche en dialogues savoureux. Au-delà de son aspect fictionnel, "Coulez mes larmes, dit le policier" est surtout une réflexion menée avec dérision et intelligence sur l'amour et ses expressions parfois surprenantes, sur la solitude, le besoin de reconnaissance... bref, un vrai régal !
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