J'ai lu 2 fois l'Assassin Royal et alors que je viens de relire cette note de lecture, je me rends compte à quel point, malgré sa longueur, elle est incomplète.... Cette œuvre m'a profondément marquée de par sa richesse, sa profondeur et le talent de plume de Robin Hobb...
Alors, par où commencer ? Peut-être en disant que pour moi, c'est l'un des cycles majeurs de la Fantasy actuelle. Et même s'il ne fait pas l'unanimité, chacun s'accorde à lui reconnaître la grande qualité de son écriture.
L'auteur manie les mots avec un réel talent pour nous conter l'histoire des Six Duchés et les aventures de Fitz le bâtard, nous offrant même quelques beaux moments de poésie....
L'un des principaux reproches faits à l'Assassin Royal, c'est sa lenteur, son manque de rythme et d'action... Ça n'est pas entièrement faux... Pourtant, ça ne m'a à aucun moment gênée. Oui, l'auteur prend son temps pour planter le décor. Elle freine le rythme, ralentit, se pose pour mieux observer ses personnages et poser les jalons d'une aventure qui va s'étendre sur 13 volumes ...
Elle s'attarde mais ça le vaut bien et c'est ce qui nous aide à mieux saisir les personnages, à nous y attacher et pour certains à nous identifier à eux. Elle parvient ainsi à établir entre le lecteur et son univers une belle intimité nous le rendant aussi familier qu'un souvenir d'enfance.
C'est aussi avec ces lenteurs que l'on arrive à cerner un peu mieux Le Fou, personnage énigmatique et ambigu comme peu de héros peuvent l'être... Grâce à cela que l'on arrive à appréhender ce que sont l'Art et le Vif ( magies.....) Ou la complexités des relations entre les différents protagonistes.
La psychologie des personnages est ici très fouillée nous permettant une forte empathie avec eux. De plus le récit à la 1ère personne permet une immersion totale dans l'univers et les aventures de Fitz. C'est pour moi un des points forts de l'oeuvre.
Je comprends que certains aient été rebutés par le temps que met l'histoire à prendre son envol ( oui mais quel envol!!!), pour ma part, j'ai été envoûtée dès les premières lignes par le ton grave et nostalgique si bien rendu par la plume de R. Hobb... Et oui, l'aventure est bien au rendez-vous même s'il s'agit beaucoup d'intrigues royales dans la 1ère partie du cycle.. Mais les passages avec Vérité et les dragons dans la carrière,la force de son désespoir qui nous déchire et nous laisse pantelants, si désarmés dans notre désir de l'aider, et notre impuissance à le faire (nous devenons à ce moment là si semblables à Fitz...)....
On reproche aussi à Fitz son indécision ou son manque d'engagement dans l'histoire... Oui, mais il prend de l'épaisseur au fil des tomes et, même si on doit lui forcer quelque peu la main, c'est ce qui me l'a rendu si attachant.... Ce désarroi qui l'accompagne et lui colle à la peau.... Et puis, qui a dit que pour être intéressant, un personnage devait forcément présenter tous les archétypes du super héros, vaillance, courage, force de caractère?
L'un des points forts du cycle , c'est la façon dont Robin Hobb lie certains de ses personnages avec un animal (le Vif) et les moments d'intimité entre Fitz et le loup ("Œil de nuit") ont été pour moi parmi les plus forts et les plus émouvants... Alors non, ce n'est pas la première fois qu'un auteur utilise les animaux et les unit ainsi à ses héros. Mais R. Hobb le fait avec une telle profondeur, tant d'inventivité et de cohérence... Tant de compassion aussi et tant de tendresse..... Car elle aime ses personnages et cet amour transparaît à chaque page, chaque ligne, chaque détail agissant comme le ciment de cette aventure.
Si je ne devais utiliser qu'un mot pour définir ce qu'a été pour moi l'Assassin Royal, ce serait l'émotion. Puissante, presque terrassante par moments.....
Il y aurait encore tant à dire, sur les descriptions par exemple (Aslevjal et ses grottes de glace parmi les plus réussies), ou d'autres personnages .... Pour moi, l'essentiel est là :
Œil-de-Nuit a été mon compagnon de Vif,
Umbre Tombétoile mon maître,
Le Fou mon ami
et Vérité mon roi.
Burrich a été mon père.....
Et pour finir cette "petite note de lecture" (bravo à ceux qui l'on lue en entier...), quelques morceaux choisis :
"Ma plume hésite, puis échappe à ma main noueuse, laissant une bavure d'encre sur le papier de Geairepu. Encore une feuille de ce fin matériau gâchée, dans une entreprise que je soupçonne fort d'être vaine. Je me demande si je puis écrire cette histoire ou si, à chaque page transparaîtra un peu de cette amertume que je croyais éteinte depuis longtemps. Je m'imagine guéri de tout dépit mais, quand je pose ma plume sur le papier, les blessures d'enfance saignent au rythme de l'écoulement de l'encre née de la mer, et je finis par voir une plaie rouge vif sous chaque caractère soigneusement moulé." (1ères phrases du cycle.)
"Le fou pencha légèrement la tête en nous regardant d'un œil interrogateur. Je perçus comme un contact de sa part, l'infime tranchant de la conscience partagée. Je faillis en oublier la jument. Par pur réflexe, je touchai les empreintes argentées qu'il m'avait laissées bien des années plus tôt sur un poignet et qui avaient pris depuis une teinte gris pâle. Il sourit de nouveau et leva une main gantée, l'index tendu comme s'il voulait renouveler les marques. "Tout le temps où nous ne nous sommes pas vus, dit-il d'une voix au timbre aussi riche que la couleur de sa peau, tu es resté avec moi, aussi proche que le bout de mes doigts, même lorsque des océans nous séparaient, même lorsque les années s'accumulaient entre nous. Ta présence était comme la vibration d'une corde pincée à la limite de mon ouïe ou comme un parfum porté par la brise. Ne l'as-tu pas ressenti?" Je pris une profonde inspiration avant de répondre, craignant de le blesser par mes paroles. "Non, dis-je à mi-voix. Je le regrette ; trop souvent j'ai eu l'impression d'être seul au monde, en dehors de la présence d'Oeil-de-Nuit. Trop souvent je me suis installé au bord de la falaise et j'ai tendu mon Art pour communiquer avec quelqu'un, n'importe qui, n'importe où." Le fou secoua tristement la tête. " Si j'avais vraiment possédé l'Art, tu aurais su que j'étais là, au bout de tes doigts, mais incapable de répondre." "
"Petit frère, ne me traite pas comme si j'étais déjà mort ou agonisant. Si c'est ainsi que tu me vois, j'aime mieux être mort pour de bon. Tu voles le maintenant de ma vie quand tu crains que je disparaisse demain. Ta peur a des griffes glacées qui m'enserrent et me dépouillent du plaisir que je tire de la chaleur du jour." (Œil de nuit à Fitz)
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