Il est dur, par les temps d’infamie qui courent, dans l’Angleterre paupérisée du XXIe siècle, d’être étranger et homosexuel. Bouc émissaire tout désigné, exutoire d’un « Lumpenproletariat » (en VO chez Karl) erratique, misérable et apolitique, l’homosexuel cristallise la haine de bandes désœuvrées. Stephen Bryan a été assassiné chez lui et son visage méconnaissable sous les coups reçus témoigne d’une barbarie effrayante. Stephen était homosexuel mais ne l’affichait pas. Discret, sympathique, intelligent, il enseignait le cinéma à l’université. Visiblement passionné par une actrice britannique des années cinquante, Stella Leonard, tragiquement disparue dans un accident de la route, il envisageait de rédiger sa biographie malgré le refus catégorique de la famille et plus précisément de l’homme d’affaires, Howard Prince. Crime homophobe, crapuleux, passionnel ou bien élimination d’un gêneur ? Le duo d’enquêteurs, Will Grayson et Helen Walker, remontent les pistes logiques : celle de l’amant éconduit ; celle des aventures d’un soir mais toutes semblent finir en cul-de-sac. La sœur de Stephen, Lesley Scarman, journaliste radiophonique, veut comprendre pourquoi son frère est mort. Elle s’accroche et tente d’approcher le très peu élégant Prince Howard. Atrabilaire, autoritaire, violent, il semble renfermer bon nombre de pestilences. Est-il le diable de sa personne ou un pauvre bougre dissimulé sous des habits neufs ?
Comme à son habitude, John Harvey mêle à la pâte humaine de ses personnages plusieurs histoires en même temps. Il y a d’abord l’enquête de terrain à propos de l’assassinat du jeune universitaire. Puis l’auteur ajoute une bastonnade mortelle sur deux homosexuels qu’Helen Walker subit de plein fouet et qui déclenche une nouvelle enquête. Enfin, le passé de l’actrice disparue, Stella Leonard, refait surface de vilaine manière. L’écrivain britannique orchestre son roman avec une indéniable maestria, sans aucune fausse note. On peut seulement regretter qu’il ajoute parfois des éléments ou des remarques superflus. Attachant, le roman l’est à plus d’un titre. D’ailleurs le titre français, Traquer les ombres, est une belle trouvaille d’autant plus que le scénario du film mythique, Eclats de verre, dans lequel a resplendit Stella, alias Ruby, s’intercale régulièrement dans le roman et réveille les ombres du passé qui brillent alors avec tout l’éclat du diamant noir de la mélancolie.
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