Début des années 50.
Jakob Bronsky, juif récemment immigré aux Etats-Unis, est un écrivain sans le sou, dont les deux principales obsessions sont les suivantes :
-gagner en un minimum de temps le maximum d'argent, afin de pouvoir travailler à son roman sans mourir de faim.
-soulager des pulsions sexuelles récurrentes qui ont pris la mauvaise habitude de se manifester chaque fois qu'il écrit...
Jakob a 27 ans mais en paraît 40, il est seul, il est moche, et, travers impardonnable dans une Amérique dévouée au culte de la possession, il manque cruellement d'ambition (du moins au sens matériel du terme).
Il se sent par conséquent inadapté et incompris dans ce pays d'accueil où seul l'argent vous confère un statut, où même le jeu de la séduction est faussé, les femmes n'étant attirées que par ceux qui peuvent justifier d'un compte en banque satisfaisant.
Sur la 4ème de couverture de "Fuck America", Edgar Hilserath est comparé à Roth, Fante ou encore Bukowski. En ce qui me concerne, le premier nom qui m'est venu à l'esprit après quelques pages de lecture est celui de Vonnegut. J'ai eu en effet l'impression de retrouver dans ce roman l'humour décalé ainsi que le sens de l'absurde qui émanent notamment d' "Abattoir n°5", la complexité du style en moins, et les constantes allusions sexuelles en plus. Il semble que pour les deux écrivains, cet humour soit un moyen de prendre leurs distances avec l'horreur d'événements qu'ils ont réellement vécus. Il s'agit pour Vonnegut du bombardement de la ville de Dresde, en Allemagne, auquel il a assisté durant la seconde guerre mondiale, et pour Hilsenrath, des années passées dans le ghetto de Mogilev-Podolsk (Ukraine), dont la population fût décimée par la famine et les maladies.
"Fuck America" est écrit dans un style extrêmement simple, où le ressenti et l'émotion n'ont quasiment aucune place. Les faits sont décrits avec dérision, ce qui ne m'a pas empêchée d'éprouver un réel malaise lors de l'évocation de certaines scènes. La façon dont l'auteur traite son sujet, avec ce froid détachement, y est sans doute pour beaucoup : on en déduit que c'est pour lui la seule manière de pouvoir exprimer son expérience (1), ce qui paradoxalement donne la mesure du traumatisme subi.
Il n'en reste pas moins un récit souvent très drôle, voire burlesque, qui se lit fort plaisamment.
(1) La vie de Jakob Bronsky est fortement inspirée de celle d'Edgar Hilsenrath.
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