Claude Chabrol et Stephen King n'ont rien inventé...
Avant eux, il y a eu Mauriac.
Mauriac et ses ambiances lourdes, ces huis-clos étouffants dignes d'un "Misery".
Ses intrigues implantées dans ce milieu fermé et rustre de la bourgeoisie provinciale...
L'acuité de son regard qui dissèque sans complaisance ni pitié les petitesses et les failles de ses personnages...
Mathilde Cazenave est alitée suite à une fausse couche qui l'a laissée très affaiblie. Elle perçoit à travers les brumes fiévreuses dans lesquelles la plonge son état, les chuchotements des conversations qu'entretiennent son époux Fernand et sa belle-mère Félicité, ainsi que les inquiétants froissements que fait entendre la robe de cette dernière lorsqu'elle épie, derrière la porte, les gémissements de sa bru. Se doutait-elle, Mathilde, qu'en intégrant le foyer des Cazenave, elle représenterait aux yeux de Félicité l'ennemie qui allait lui prendre son fils chéri ? Imaginait-elle le sourd combat qui allait s'engager pour regagner l'exclusivité de l'amour de Fernand ?
Il faut dire qu'entre ces deux-là, c'est une longue histoire : depuis le décès du père Cazenave, survenu bien des années auparavant, mère et fils ont vécu, inséparables, dans cette grande demeure, avec pour seule présence celle de la vieille servante Marie de Lados. Ils ont entretenu une relation malsaine, entre possessivité et aigreur, rudes manifestations de tendresses et culpabilisation mutuelle. Félicité a fait en sorte de devenir le centre de l'existence de cet enfant capricieux et surprotégé, devenu un adulte souffreteux, qui, lorsqu'il épouse Mathilde, à cinquante ans, n'a jamais connu ni l'embrasement du corps, ni celui du cœur.
Et ce n'est pas sa jeune compagne qui va lui permettre d'accéder à cette connaissance. L'union aura été de courte durée, sapée par l'omniprésence de la mère toute puissante, et définitivement enterrée -c'est le cas de le dire- avec la mort de Mathilde (rassurez-vous, ce n'est pas un spoiler, l’événement survient dès les premières pages).
C'est paradoxalement à partir de ce moment que la rivale de Félicité devient réellement menaçante.
Le décès de son épouse plonge Fernand dans un état dépressif qui atterre sa mère. Il réalise qu'il a sans doute perdu sa seule chance de connaître l'amour, se détourne de sa génitrice, impuissante à lutter contre une morte.
C'est avec une plume acérée, impitoyable, que François Mauriac dépeint la relation mère-fils qui se délite. Tout comme il se montre particulièrement acerbe avec le milieu dans lequel évoluent ses héros, univers à la fois rural et bourgeois où l'on aime la terre davantage que les hommes, d'individus avares, rustres et mesquins. Univers gris, d'où sont bannis toute émotion, toute fantaisie, tout plaisir, où bâtir une famille n'a pour seul but que de perpétuer la possession terrienne. Un fils suffit...
On en viendrait presque à la comprendre, cette Félicité, qui s'est accrochée à son Fernand pour avoir un être à aimer, et surtout qui l'aimerait. Mais elle aime à l'image de ce monde auquel elle appartient, sans grandeur ni générosité.
"Génitrix" est un roman noir, oppressant, angoissant, dont les protagonistes sont prisonniers d'une sorte d'interdiction tacite de connaître, sans même parler de bonheur, ne serait-ce qu'un peu de joie.
Très fort, Monsieur Mauriac !
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