Après l'île de Hong-Kong, c'est en Thaïlande que John Burdett a choisi de situer l'action de son roman "Bangkok 8". Il s'agit du premier opus mettant en scène le personnage de l'inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, surnommé le "flic moine" parce qu'à la suite d'un séjour dans un monastère bouddhiste, il a tendance à interpréter les comportements de ses semblables à l'aune d'une logique mystique, et il a surtout juré de ne jamais se laisser corrompre, ce qui fait de lui la risée de ses collègues, et une bête curieuse dans un monde où la corruption est quasiment un mode de vie.
Alors qu'en compagnie de son partenaire et ami Pichaï, il est chargé de filer un marine américain, ce dernier est assassiné par une dizaine de serpents placés dans son véhicule. Pichaï y laisse également sa peau, et Sonchaï, effondré par la perte de celui qu'il considérait comme son frère, jure de le venger...
D'emblée, John Burdett nous immerge dans une Bangkok -Krung Thep- chaude, humide, odorante, grouillante, où sévissent tous les trafics imaginables (de drogue, de jade, d'armes...). Bangkok temple de la prostitution, aussi, dans un pays où les revenus issus de cette activité "remplacent la sécurité sociale, l'assurance maladie, les prêts aux étudiants"... Un monde dans lequel Sonchaï évolue comme un poisson dans l'eau, puisque, en tant que fils d'une ancienne prostituée maintenant retraitée, il a longtemps vécu dans la rue et a gardé de nombreuses connaissances dans ce milieu.
Pour rehausser l'exotisme et la particularité des coutumes et habitudes thaïlandaises, l'auteur a mis face à son héros asiatique une jeune occidentale travaillant pour le FBI, et la confrontation des opinions et convictions des deux personnages est l'occasion d'une mise en évidence du fossé qui sépare les deux cultures.
Il oppose notamment le pragmatisme et le matérialisme de nos sociétés à l'importance que la méditation, voire une certaine magie (la croyance en des vies antérieures, par exemple, ou la possibilité de communiquer avec les morts) revêt aux yeux de Sonchaï et de ses compatriotes. John Burdett donne d'ailleurs l'impression d'exprimer davantage de sympathie pour les valeurs de ces derniers, puisqu'il a choisi de faire de l'inspecteur Thaïlandais son narrateur, et pris le parti d'introduire dans son récit des événements relevant du surnaturel, et présentés comme avérés ! Un paradoxe qui s'accorde finalement plutôt bien avec l'image qu'il nous offre de ce pays riche de contradictions -ou en tout cas considérées comme telles si l'on adopte le point de vue occidental-, où les flics corrompus reversent une partie de leurs pots-de-vin à des associations caritatives, et où l'absence de tout puritanisme hypocrite laisse sexe et humour faire bon ménage !
Alors, certes, "Bangkok 8" a été écrit par un britannique, mais peu importe après tout si le trait est parfois forcé sur certains des aspects du roman (notamment ceux relatifs à la corruption et à la prostitution), il n'en reste pas moins très réjouissant et très prenant.